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Questions d’images...

Par empontie - Publié en décembre 2012
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BALADE DANS UN VILLAGE PERDU DANS LA SAVANE CAMEROUNAISE. Un groupe de cases et une famille sympa plantée devant. Le touriste s’arrête et demande de faire une photo. Éclats de rire gêné chez les femmes. Un homme s’avance et lance : « Oui, mais laissez-nous le temps de nous préparer. » Après être entrés dans leurs cases, ils ressortent parés de leurs plus beaux atours. Une jeune fille a troqué le pagne pour un jean et mis des lunettes sur le nez. Juste pour la pose. Pour faire chic, moderne. Et, bien entendu, les protagonistes espèrent qu’on leur enverra un tirage. Ailleurs, dans les grandes villes, des femmes vendant des tomates au marché lanceront des pierres au photographe de passage, hurlant qu’elles veulent de l’argent, sinon pas d’images! Essayez aussi de faire un cliché d’une mairie ou d’une école (pas sensible du tout...) : il y aura toujours un policier zélé pour vous courser en exigeant l’autorisation du ministère bidule. Les photos, c’est super important en Afrique. Un vrai stress!

Dans les hautes sphères, les grands quelqu’un sont très soucieux de la taille de leur portrait dans un journal. « Ne me mettez pas trop grand, on va croire que j’ai des ambitions politiques! », ou au contraire : « Pourquoi ma photo est-elle plus petite que celle de l’autre? ». Les services présidentiels d’État sont super méfiants, car on interprète vite telle ou telle image. Tel chef d’État sahélien photographié dans sa piscine a déjà provoqué l’ire de ses conseillers : « Comment, dans un pays où il n’y a pas d’eau, vous imaginez ce que les populations peuvent en penser! » Ou cet autre d’Afrique centrale, originaire du sud de son pays, présenté par hasard en tenue du Nord, a au contraire déclenché sans le savoir la satisfaction de toute une partie de son pays. Finalement, l’iconographie compte beaucoup plus que les écrits.

Plus immédiate, lançant un message visible par tous, y compris par les paresseux de la lecture. Alors pourquoi, sur ce continent où les ego sont tellement conscients de l’importance d’une photo, source d’ascension ou de chute auprès de l’opinion, celui qui est le plus malmené... c’est le photographe ? On le sous-paie, on ne crédite pas ses clichés dans les journaux, on le bouscule dans les cérémonies officielles en l’empêchant de faire son travail... On lui donne trois minutes pour faire un portrait, avant de l’expulser manu militari. Incompréhensible! D’autant plus qu’un photographe stressé et traité de la sorte ne risque pas de donner une belle image de vous. Bien fait! Ou alors, changez cette attitude totalement contre-productive...

Par Emmanuelle PONTIÉ