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Racisme disent-ils

Par Cbeyala - Publié en février 2011
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J’ai été jusqu’alors heureuse que le législateur français adopte des textes de loi permettant de ne point laisser cette pollution trotter d’une bouche à l’autre, virevolter sans qu’une grimace ne vienne la perturber, lui intimer de se taire, qu’elle est nauséabonde et indigne du pays des Lumières. Pourtant, depuis quelques mois, les accusations pour racisme pullulent, que dis-je, elles pleuvent ; il ne se passe pas une semaine sans que nos oreilles ne soient polluées par les propos « douteux » de tel homme politique, de tel journaliste, comme si la France était devenue un gigantesque marigot où croupiraient des hommes haineux, racistes, xénophobes, rien que cela, un pays d’êtres dépourvus d’humanité. Et le mal est profond. Il est si enraciné dans notre inconscient qu’aucune thérapie de groupe ne saurait nous guérir. Il se propage à une telle vitesse qu’il conviendrait de nous mobiliser, à chaque minute, pour combattre ces impies, d’user de tous les moyens pour les extirper de notre si belle république.

Et moi, je m’interroge. Qu’est-ce que le racisme ? Consiste-il simplement à lancer des mots comme sale nègre, sale Blanc ? En trente ans de vie en France, force m’est de constater que le racisme n’est pas un phénomène facilement palpable, déchiffrable et quantifiable. Il n’est pas forcément dans des propos jugés par le législateur comme tels, mais dans ses nuances. Il est tout en subtilité : il est dans cet homme qui entre dans une pièce, serre toutes les mains à l’exception de celle de ce Noir qui lui fait la politesse d’un bonjour ; il est en suspicion dans cet employeur tout en raidissement lorsqu’on émet l’idée selon laquelle il pourrait embaucher un Arabe ; il se tapit dans cette militante qui, sous prétexte de défendre les droits des minorités, les infantilise ; il est en précaution, en diplomatie, en prudence, en retenue. Il n’est pas dans l’imprudence de cet homme qui s’engueule avec son voisin et lui expédie quelques réflexions ayant trait à ses origines, n’est-ce point tout simplement de la colère ? Il n’est pas dans ces réunions où prédomine l’insouciance ; il est rarement dans ces rencontres amicales où l’on s’interpelle par les origines en jouant des caricatures.

Il me souvient que très souvent les femmes noires qualifient leurs maris blancs de « mon petit Blanc », et je n’y ai jamais rien vu d’autre que l’expression d’une extrême tendresse ; il me souvient qu’un ami blanc m’interpelle en ces termes : « Eh, emmerdeuse de négresse ! » et je n’y ai jamais rien vu d’autre qu’une profonde amitié. Il me semble que l’accusation de racisme ne doit pas être une chasse aux sorcières. Harceler les moindres mots sous prétexte de combattre ce fléau pourrait avoir, à plus ou moins long terme, des conséquences néfastes pour la cohésion sociale. Nous finirions par vivre dans une société où les différents groupes ethniques auraient peur de se fréquenter par crainte d’être accusés de racisme. Car là où existe un groupe d’individus, on ne saurait empêcher que des mots a priori injurieux, mais qui portent en eux des germes de tendresse, puissent être utilisés…

Ou alors, alors, on vivra comme aux États-Unis, où l’on ne peut recevoir un collègue dans son bureau les portes closes de crainte d’être poursuivi en justice pour harcèlement sexuel. Je n’aspire pas à cette France étriquée, faite d’angoisse et de peur, mais à une France où la pensée est libre sans qu’elle soit blessante, où des organisations se battent pour l’égalité de traitement dans les entreprises au lieu de s’attaquer à cette nébuleuse qu’est le racisme, qui in fine pourrait être utilisé par des individualités malintentionnées comme une forme de chantage. Sur ce, j’attends vos réflexions sur la question et jolies vacances à tous.

Chronique [ POING FINAL ! ] de Calixthe Beyala parue dans le numéro 299/300 (août - septembre 2010) d'Afrique magazine.