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Rama, Fadela et les autres…

Par Cbeyala - Publié en février 2011
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J’ai vu les Africains français se terrer dans leur coin, pensant qu’en acceptant les injures gouvernementales voire en les justifiant, ils seraient choisis par le maître. Oui, j’ai vu naître des associations de défense des minorités qui, in fine, n’ont défendu que l’ascension sociale de leurs dirigeants. J’ai aussi assisté à des réunions fantastiques où des Nègres crève-la-faim ont prétendu octroyer des bourses aux étudiants, alors qu’ils ont les poches aussi vides que des feuilles sur un arbre en hiver.

J’ai vu des Noirs tordre leurs lèvres avec répugnance lorsque pour les désigner, on prononce les mots minorités visibles, puis rétorquer : « Je préfère le terme diversité… C’est plus… Hum… » Chic, songent-ils, châtié peut-être ? À moins qu’ils préfèrent l’adopter pour montrer combien ils sont dociles, oubliant que, s’il existe bel et bien une diversité dans la faune et la flore, elle ne saurait exister chez l’homme. Qu’il n’y a qu’une seule race humaine. Qu’en se faisant les vecteurs du terme diversité, ils acceptent, sans qu’un autre mot ne soit prononcé, l’idée selon laquelle ils appartiennent à une autre catégorie, mais laquelle ?

J’ai vu et entendu tout cela, mais le licenciement sans décorum des secrétaires d’État issues de leur « diversité » m’a laissé dans la bouche le goût d’une mandarine amère. Le fiel est remonté dans mon gosier d’autant plus fortement que cette humiliation publique n’a pas joui d’une protestation ou d’une correction publique.

J’ai vu l’image digne d’une tragicomédie shakespearienne de Fadela Amara, critiquant vertement l’action du Premier ministre tout en murmurant qu’elle ne regrettait rien, qu’elle remerciait humblement le président de la République d’avoir eu le courage de la nommer ; j’ai vu Rama Yade vieillie prématurément dans les arcanes des intrigues politiques, le visage strié par des sillons soucieux.

Deux larmes de tristesse ont perlé aux coins de mes yeux. J’ai trouvé cette situation aussi navrante que grotesquement attendrissante. J’ai vu combien nous étions pathétiques, tragiquement grotesques nous, Africains français. Seigneur, est-il donné à un groupe d’être aussi naïf, aussi crédule et ingénu ? J’ai eu envie de laisser s’exprimer mes viscères, de courir dans les ruelles afin de crier mon désespoir, j’y ai renoncé, car il fait si froid dehors !

Mme Rama Yade est la femme politique préférée des Français, du moins c’est ce que nous ont indiqué les instituts de sondages depuis des mois. Derrière cette préférence, on a sous-entendu que son départ du gouvernement pourrait provoquer des séismes sociaux politiques et autres calamités nationales. Qu’elle est incontournable, sans doute y a-t-on cru ? Moi pas. Non, moi pas.

Il m’a toujours semblé étrange qu’au moment où en France des idées racistes fleurissent jusque sur des rochers, qu’à cet instant où, officiellement, on segmente la population en « souchiens », en anciennement et nouvellement nationalisés, il s’avère que les personnalités préférées des Gaulois sont tous des Noirs. Il en est ainsi de Yannick Noah, censé être le Français préféré des Français, ou encore d’Harry Roselmack, le journaliste préféré des Français.

Ce hiatus, cette dichotomie entre les sondages et la vérité quotidienne des Blacks français m’a toujours interpellée. Et s’il ne s’agissait là que d’une manipulation, d’une certaine falsification de la dure réalité ? Me suis-je toujours demandé. Et s’il ne s’agissait là que de messages subliminaux destinés à annihiler toute envie de revendication ou de rébellion de la part de ceux qui subissent l’exclusion et les injures ? Et si… Qu’en pensez-vous ?

Chronique [ POING FINAL ! ] de Calixthe Beyala parue dans le numéro 303/304 (décembre 2010 - janvier 2011) d'Afrique magazine.