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ce que j’ai appris

RAY LEMA

Par Sabine.CESSOU - Publié en octobre 2015
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COMPOSITEUR, PIANISTE ET GUITARISTE CONGOLAIS, 69 ANS.Auteur d’une vingtaine d’albums, le musicien a sillonné la RD Congo, vécu à Washington et Bruxelles, avant de se poser à Paris en 1982. Cet homme de rencontres continue de passer du jazz à la world, en faisant des détours avec des orchestres symphoniques, en Chine et au Brésil. Il a signé avec deux compatriotes, Fredy Massamba et Ballou Canta, son dernier album, Nzimbu, sorti en février dernier.

À 11 ans, je suis entré au séminaire, près de Kinshasa. Je voulais être prêtre. Après quelques tests, les bons pères ont décidé que je ferai de la musique. J’ai appris à accompagner le chant grégorien. Les prêtres ont fait venir un piano de Bruxelles. J’ai joué des partitions de Mozart, Beethoven et Bach. Les compositeurs classiques sont très impressionnants dans leur puissance de calcul et d’imagination. La musique est une mathématique. À l’horizontale, vous avez le rythme. À la verticale, l’harmonie. Mais je suis sorti du séminaire au bout de deux ans. J’ai posé des questions sur Satan. Pourquoi Dieu a-t-il créé un être qui lui met tout le temps des bâtons dans les roues ? Deux fois, on m’a répondu : « Tu ne peux pas comprendre. » C’était trop pour moi, alors je suis parti.

Plus tard, j’ai quitté l’université de chimie pour devenir le guitariste de Gérard Kazembe dans une boîte de nuit de Kinshasa. C’était plein d’Américains et d’expatriés qui avaient apporté des disques. J’avais un répertoire très varié et j’ai acquis une certaine notoriété. J’étais considéré comme un mercenaire de haut vol. En cas de panne ou de défection, on m’appelait pour naviguer à vue dans les morceaux.

En 1974, la présidence de la République a voulu un ballet national pour préparer le combat de boxe entre George Foreman et Muhammad Ali. Le chef du cabinet de Mobutu m’a fait appeler. Je me suis retrouvé directeur musical, et je me suis mis à la recherche des meilleurs musiciens traditionnels. Un vrai tournant : j’ai découvert l’immensité géographique et culturelle de mon pays.

La RD Congo a été mon académie. Je suis tellement têtu que je suis devenu maître tambour, en jouant pour une ethnie sans qu’elle ne remarque que j’étais étranger à son langage rythmique. Une victoire ! Le plus beau jour de ma vie…

J’ai eu un désaccord en 1979 avec le pouvoir, qui voulait un opéra sur le thème « Mobutu ». J’ai dit non. On m’a tout pris, travail, maison, voiture. Je suis retourné vivre chez mon frère. Puis j’ai été invité en 1979 par l’African-American Institute aux États-Unis. Le jour de mon retour à Kin, à l’aéroport, je me suis dit : « Que fais-tu ? » Et j’ai fait demi-tour pour ne rentrer au pays qu’en 2011. Aux États-Unis, le batteur de Police, qui a flashé sur l’un de mes morceaux, a produit l’un de mes albums. Je me suis rendu compte que les États-Unis sont tellement énormes qu’ils produisent pour les autres, sans les regarder. L’Europe m’a paru moins excentrée sur la carte du monde. J’ai pensé à Bruxelles. Au bout de six mois dans ce village, je me suis dit : « Aïe, aïe, aïe ! »

Jean-François Bizot, alors patron du magazine Actuel, m’a fait venir à Paris. Un jour, j’ai entendu à la radio des voix bulgares. Ces femmes qui chantent avec des timbres africains m’ont touché. « Et si tu faisais quelque chose avec elles ? », m’a-t-il demandé. On s’est dit : « Chiche ! »

En 2009, l’année de la France au Brésil, j’ai été sélectionné avec l’accordéoniste Richard Galliano pour des concerts avec le Jazz Sinfônica de São Paulo. Nous sommes tombés amoureux les uns des autres : les Brésiliens sont tombés sur mes pièges rythmiques, et je ne savais pas qu’une musique africaine pouvait être jouée de manière symphonique.

Un regret ? Les talents de la RD Congo ne sont pas connus chez eux. Il faut que ce soit un Blanc qui vienne leur dire : « Celui-là est grand. » Un phénomène très francophone !