
RD Congo
La tragédie sans fin
Le M23 règne depuis février sur Goma, Bukavu, et la majeure partie du Kivu. Paul Kagame a obtenu ce qu’il voulait: le contrôle d’une «zone tampon» riche en minerais. Le président Tshisekedi appelle à la résistance, mais la République est fragile, épuisée. Et à l’ère des «hommes forts» qui n’ont que faire des frontières, la dynamique se situe, pour le moment, du côté de Kigali...
Il y a quelques semaines, le président Félix Tshisekedi bataillait pour modifier la Consti- tution de la République démocratique du Congo (RDC), sans nul doute afin de se porter candidat, en 2028, à un troisième mandat. En 2023, lors de la campagne électorale pour sa réélection, il menaçait d’envoyer l’armée congolaise envahir le Rwanda pour en finir avec les «terroristes» du M23... Désormais, beaucoup se demandent s’il finira son second mandat ou s’il sera renversé par le M23 et l’armée rwandaise. Après Goma fin janvier, Bukavu est tombé à son tour mi-février, quasiment sans résistance de la part des Forces armées congolaises (FARDC), des miliciens locaux Wazalendo («patriotes» en swahili) et de leurs alliés. Les capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud- Kivu se trouvent aux mains des rebelles du M23, épaulés selon les experts des Nations unies par «3000 à 4000» soldats d’élite des FDR (Forces de défense du Rwanda): «Chaque unité du M23 est supervisée et soutenue par les forces spéciales des FDR, qui continuent d’apporter un soutien systématique au M23 et de contrôler de facto ses opérations.»
En 2012 déjà, Goma avait été occupée par le M23 avant qu’un coup de fil de Barack Obama, assorti d’une menace de suspension de l’aide états-unienne, contraigne le président rwandais d’ordonner un repli... Cette fois-ci, les conquérants pourraient s’enraciner: les nouveaux maîtres des lieux invitent les habitants de Bukavu à constituer des «comités de vigilance pour assurer la sécurité». Les experts des Nations unies, dans un rapport publié début janvier avant la conquête des deux capitales provinciales , remarquent que le M23 ne se borne plus à former des combattants (y compris des enfants-soldats), mais aussi «des cadres civils administratifs pour administrer les localités contrôlées». Ce qui est davantage inquiétant pour les autorités congolaises: «Le véritable objectif du M23 reste l’expansion territoriale, l’occupation et l’exploitation à long terme des territoires conquis.»
La conquête de la ville minière de Rubaya, en avril dernier, s’était déjà accompagnée de la mise en place d’une «adminis- tration parallèle». Selon les Nations unies, le M23 contrôle également «l’ensemble des axes routiers de la région». La gestion au quotidien de Goma et Bukavu, qui totalisent envi- ron 3 millions de résidents (habitants et déplacés), constitue cependant un défi organisationnel amplement plus important que le pillage de sites miniers: «Le M23 va devoir rétablir un minimum de sécurité dans des villes qui étaient déjà crimino- gènes et où circulent des armes abandonnées», estime Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations interna- tionales (Ifri), dont le dernier ouvrage s’intitule La Mission des Nations unies au Congo, ou l’exemplaire inutilité des Casques bleus (janvier 2025). «L’approvisionnement des banques a été suspendu, mais reprendra dès que ces dernières auront reçu des garanties de sécurité du M23. L’activité économique va certes être très ralentie, mais par le passé la guerre n’a jamais interrompu le business dans l’est du Congo. Bien au contraire...» Quant à la population civile, qui depuis trois décennies endure les exactions de maraudeurs de toutes obé- diences et de toutes nationalités, elle va continuer à souffrir: «Dans toute la région, les gens vivent au jour le jour, ils sur- vivent au quotidien, témoigne Antoine Glaser, journaliste et écrivain spécialiste des Grands Lacs. Le contrôle du M23 ne constituera sans doute pas pour eux un changement majeur.» Après tout, Goma a été conquise à quatre ou cinq reprises en trente ans...
UNE MOBILISATION DIFFICILE

Pour l’ensemble de la RDC, il y a péril en la demeure. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, deux provinces congolaises de 60000 et 65000 km2 , peuplées d’environ dix millions d’ha- bitants et dont le sous-sol contiendrait entre 60 et 80% des réserves mondiales de coltan, sont bien en train de passer de facto sous le joug d’un mouvement considéré à Kinshasa comme terroriste, et parrainé par Kigali. L’intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC sont en jeu. Fin janvier, après la prise de Goma, le président Tshisekedi n’a pas caché, dans un discours solennel à la nation, la gravité de la situation, promet- tant une riposte, louant «le courage» des FARDC, invitant la jeunesse congolaise à s’y enrôler, les forces économiques à se recentrer surla défense nationale, et appelant les populations des provinces occupées à «résister». Reste que le président est seul. Que les FARDC, mal équipées, démotivées, ne font pas le poids. Et que, chez les civils, la résignation semble l’emporter: «À Goma comme à Bukavu, il n’y a pas eu de résistance popu- laire contre le M23», constate Thierry Vircoulon.
À l’étranger, la diaspora se mobilise et multiplie les initia- tives afin d’alerter les opinions publiques africaines et occi- dentales face à la guerre de prédation commise aux dépens de la grande nation d’Afrique centrale, déjà affaiblie par la fin annoncée de l’USAID. À l’inverse, le Rwanda profite de son grignotage territorial éhonté: «La rébellion du M23 a un effet très positif sur les finances du Rwanda, souligne Thierry Vircoulon. Depuis la résurrection du M23, les exportations minières ont explosé. D’après la Banque centrale du Rwanda, elles sont passées de 500 millions à 1,1 milliard de dollars entre 2022 et 2024.» À Kinshasa, «le fait que des manifestants s’en soient pris fin janvier à des ambassades traduit un grand désarroi, souligne Antoine Glaser. C’est une manifestation d’impuissance qui ne change rien au rapport de force mili- taire: le M23 contrôle bel et bien le Kivu... Kagame voulait le contrôle de la frontière occidentale du Rwanda. Et il l’a obtenu». La faiblesse et l’impéritie de l’État central, combi- nées à l’ingérable distance (2300 km) qui sépare la capitale de ses riches provinces minières, font de ces dernières des proies faciles pour les voisins, notamment pour le petit mais ambitieux Rwanda seulement 26800 km2, avec l’une des densités de population les plus élevées au monde. Aux appétits miniers s’ajoute un facteur stratégique, identitaire, émotionnel, et parfois même irrationnel: les conflits successifs que subit la RDC depuis trois décennies sont liés aux conséquences du génocide commis en 1994 par le pouvoir raciste hutu rwandais à l’encontre de la minorité tutsi (800000 à un million de victimes) [lire encadré]. En juillet 1994, la défaite du régime génocidaire face au Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame avait entraîné l’exode au Zaïre d’environ deux millions de Hutu, dont moult massacreurs: «La présence si proche des génocidaires gêne le nouveau régime à Kigali», résume dans un récent entretien au Monde l’histo-rien belge David Van Reybrouck, auteur du best-seller Congo.
Une histoire (2012). En mai 1997, les manœuvres de Kagame pour éradiquerla menace avaient abouti à la chute de Mobutu Sese Seko, accusé de passivité à l’égard des génocidaires : avant 1996, l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) n’était qu’un poussiéreux mouvement de guérilla (son chef, Laurent-Désiré Kabila, avait même côtoyé Che Guevara).
«LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE AFRICAINE»
Le soutien de Kigali l’avait customisé en redoutable machine de guerre, conduisant «les petits hommes verts» (et leurs mentors rwandais) en quelques mois du Kivu à Kinshasa. Lorsqu’en 1998, le président Laurent-Désiré Kabila a renvoyé ses encombrants parrains rwandais, Paul Kagame a voulu le renverser. Les hostilités avaient alors escaladé jusqu’à la «pre- mière guerre mondiale africaine» (1998-2003), qui a opposé neufs États, des dizaines de groupes armés, et entraîné la mort d’au moins 4 millions de personnes. Kagame propulse- ra-t-il un nouvel homme lige à Kinshasa? Corneille Nangaa, le chef de la branche politique du M23, coordonnateur de l’Alliance fleuve Congo (AFC), jouerait volontiers ce rôle. Il déclare depuis ses nouveaux bureaux de Goma qu’il vise la prise de la capitale... Condamné à mort par contumace en juillet 2024 pour sa collaboration avec le M23, il n’est autre que l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui en 2018 avait validé la première élection de Tshisekedi. S’exprimant depuis «la partie libérée de la RDC», ainsi qu’il désigne la région sous la coupe du M23 et des FDR, Corneille Nangaa raconte dans des interviews avoir, en tant que chef de la CENI, offert la victoire à Félix Tshisekedi au détriment du vrai vainqueur Martin Fayulu, sur ordre de Joseph Kabila qui espérait un retour d’ascenseur. Il juge donc Tshisekedi «illégitime», et appelle à son renverse- ment. «Impossible d’être dans la tête de Kagame et de savoir s’il poussera le M23 jusqu’à Kinshasa», tempère Antoine Gla- ser, tout en soulignant que «même le président burundais [le général Évariste Ndayishimiye, ndlr] commence à être intimidé par son homologue rwandais et cherche à le contacter», la frontière entre les deux pays étant fermée depuis un an, aux dépens des échanges commerciaux. L’avenir dira si le M23 suivra la même trajectoire politique et militaire que l’AFDL, et terminera sa course à Kinshasa... À une trentaine d’années d’écart, les deux mouvements de guérilla présentent en effet de singuliers parallèles. À l’image de l’AFDL de Kabila-père, le M23 est un vieux groupe armé que Kagame a ressuscité: il est l’héritier du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui entre 2004 et 2009 combattait les FARDC au Kivu. Ce CNDP recrutait majoritairement parmi les Tutsi congolais, à l’image de son chef, Laurent Nkunda, formé par le FPR. Le 23 mars 2009, le CNDP a déposé les armes après un accord de paix prévoyant notamment son intégration au sein de l’armée régulière. Mais Kinshasa soupçonne vite les anciens du CNDP de continuer à pillerles produits miniers... L’état-ma- jor des FARDC décide donc de les dispatcher sur le territoire, loin des tentations minérales du Kivu. Colère des intéressés, qui se mutinent en avril 2012 et créent sous la direction du colonel Sultani Makenga le Mouvement du 23 mars (M23) en référence à la date du traité de paix «bafoué».
RIEN NE PEUT STOPPER LE M23?

En 2013, le M23 est défait par les FARDC, assistées par les Casques bleus de la Monusco (Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo). Ce conflit mineur aurait pu s’arrêter là. Or, les clés des hostilités se trouvent non pas au Kivu, mais à Kinshasa, à Kigali, et dans une moindre mesure à Kampala, Bujumbura, et même Washington. Au début de son premier mandat, Félix Tshisekedi avait entamé le rappro- chement de la RDC avec ses voisins des Grands Lacs. Le pré- sident avait même invité Kagame aux funérailles de son père Étienne Tshisekedi en mai 2019, à Kinshasa – plus de deux ans après son décès à Bruxelles, où il était en exil. En échange, le Rwanda avait appuyé l’adhésion de la RDC à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Des accords commerciaux ont été signés, et RwandAir desservait des aéroports congolais. En parallèle, les rapprochements de la RDC avec l’Ouganda et le Burundi ont déplu à Kagame: en 2021, Kinshasa a autorisé Kampala à envoyer ses troupes lutter, dans le Nord-Kivu et en Ituri, contre les djihadistes ougandais des ADF (les mal nommées «Forces démocratiques alliées »). Bujumbura a obtenu le même type de privilège, Kinshasa autorisant l’armée burundaise à pourchasser, dans le Sud-Kivu, le Red-Tabara (Résistance pour un État de droit au Burundi). Déception de Paul Kagame, qui rêvait de se voir octroyer un tel «droit de poursuite» à l’encontre des FDLR... À défaut d’être invité, le maître de Kigali s’est incrusté: il a réitéré son soutien militaire et logistique au M23, tout en le niant avec aplomb. Léthargique depuis près d’une décennie, le mouvement est reparti à l’attaque dès novembre 2021.
Depuis lors, rien ni personne ne semble pouvoir stopper l’avancée du M23 et des FDR: la force régionale de la Com- munauté d’Afrique de l’Est (EAC-RF), sous commandement kényan et composée de militaires kényans, sud-soudanais, burundais et ougandais, déployée à partir de fin 2022, s’est retirée un an plus tard. La force régionale de la Communauté de développement d’Afrique australe (SAMI-RDC), sous com- mandement sud-africain et composée de militaires sud-afri- cains, tanzaniens et malawites, qui avait pris la suite en décembre 2023, n’a guère pu contenirles rebelles. Pas plus que les mercenaires roumains de la société Congo Protection, ou les miliciens Wazalendo. Les cessez-le-feu de décembre 2022 et juillet 2024 ont permis au Rwanda d’optimiser son soutien logistique, notamment avec des appareils de brouillage et des missiles sol-air, qui sont venus à bout des drones de la société militaire privée française Agemira. Et tandis que ses adver- saires s’affaiblissent, tergiversent et se dérobent, le M23 se renforce: «Entre le 25 septembre et le 31 octobre, notent les experts onusiens, au moins 3000 recrues ont achevé leur for- mation militaire» dans ses camps d’entraînement. Les mêmes experts soulignent que le M23 pourrait conclure des alliances, ou tout au moins des pactes de non-agression, au sein de la nébuleuse de dizaines de groupes armés actifs dans la région. Ils bénéficieraient même de la complicité de l’Ouganda, dont l’armée (UPDF, Forces de défense du peuple ougandais) est pourtant alliée depuis 2021 aux FARDC contre les djihadistes ougandais. Selon les experts onusiens, les troupes du M23 transiteraient parfois par le territoire ougan- dais: «L’ampleur et la fréquence des mouvements» rendent «très improbable» qu’ils «passent inaperçus», répondent-ils aux dénégations du président Yoweri Museveni, dont les rela- tions avec Paul Kagame ont toujours été en dents de scie. Les tentatives de médiation échouent les unes après les autres: en décembre dernier, le président angolais João Lourenço n’est pas parvenu à réunir autour d’une table Kagame et Tshisekedi, qui compare son homologue rwandais à Hitler et refuse de négocier avec le M23, qualifié de «terroriste».
«Tshisekedi est aux abois, observe Thierry Vircoulon. Il sollicite de l’aide militaire dans toutes les directions, mais risque de ne pas recevoir de réponses positives», le président congolais s’étant brouillé avec l’EAC puis avec la SADC. Le chef d’État paraît de plus en plus seul et isolé: l’opposition a décliné son offre d’entrer au sein d’un «gouvernement d’al- liance nationale». «Joseph Kabila mise sur la chute du gou- vernement Tshisekedi pour revenir aux affaires», souligne Thierry Vircoulon. Le 23 février, l’ancien président (2001- 2019) a publié une tribune dans le journal sud-africain Sunday Times, où il critique vertement son successeur, l’accusant d’être responsable de la situation par sa «mauvaise gouvernance» et son «autoritarisme». Le lundi suivant, à Kinshasa, telle une sinistre illustration de la crise sociale, la police a tiré sur une manifestation étudiante, blessant au moins trois jeunes.
«Beaucoup d’opposants politiques, qui font des discours très patriotiques, voient en fait dans cette crise une opportunité en or», remarque Vircoulon. Quant aux citoyens, «ils sont unis contre l’agression du Rwanda, mais non derrière ce gou- vernement, qui n’a pas amélioré leurs conditions de vie et a repris à son compte les mécanismes de corruption de ses pré- décesseurs. La population sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même pour sa survie quotidienne». Le sentiment national congolais est certes tangible, dans ce pays de 2,345 millions de km2 peuplé d’environ 450 ethnies. Le patriotisme a su, par le passé, surmonter les velléités séparatistes au Katanga et au Kasaï, ainsi que le centralisme peu efficace de Kinshasa. Mais on imagine mal la population, qui se débat au quotidien pour subsister (le proverbial « Article 15», que l’on peut résumer par: «Débrouillez-vous !»), s’enrôler massivement dans les FARDC sous-équipées afin de bouter l’envahisseur.
L’EFFET TRUMP
La communauté internationale laissera-t-elle la RDC se faire amputer d’une partie de son territoire et de son riche sous-sol par son voisin rwandais?
Mais cette dernière «a volé en éclats», balaie Thierry Vir- coulon. La Monusco, accusée d’inaction (notamment lors du massacre de Mutarule en juin 2014), a commencé voilà un an son retrait après un quart de siècle de présence. L’attitude des Nations unies suscite l’amertume des Congolais: le Conseil de sécurité, réuni en urgence après la chute de Goma, s’est contenté de réclamer le retrait des «forces extérieures», sans toutefois oser citer les troupes du Rwanda, dont les agisse- ments sont pourtant détaillés dans les rapports des experts onusiens eux-mêmes, et qui à Goma n’ont pas hésité à tirer sur les Casques bleus. Il a fallu attendre le 21 février pour que le Conseil de sécurité de l’ONU «condamne fermement l’offensive du M23 avec le soutien des FDR». Quant à l’Union africaine (UA), «elle ne parvient même pas à nommer le pays agresseur», soupire Thierry Vircoulon. «Le cas de l’ONU est particulièrement pathétique, poursuit-il, car elle dispose encore de dix mille Casques bleus sur le théâtre du conflit.» Les mises en garde du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, contre le risque «d’escalade régionale» paraissent lunaires: des armées nationales s’affrontent d’ores et déjà sur le sol congolais, et quatorze soldats sud-africains sont morts au cours des dernières semaines face au FDR et au M23. «Ces organisations multilatérales battent des records d’impuis- sance, alors que les Grands Lacs sont en passe de basculer dans une guerre régionale», déplore Thierry Vircoulon, poin- tant du doigt l’ONU tout comme la SADC et l’EAC.
Dans son discours à la nation, le président congolais a déploré la passivité onusienne: «Votre silence et votre inaction constituent un affront non seulement contre la RDC, mais également contre les valeurs universelles de justice et de paix.» Des valeurs piétinées en Ukraine, au Moyen-Orient, mais également, depuis le 20 janvier, à la Maison-Blanche.
«Le calendrier de la prise de Goma ne doit rien au hasard: c’est l’effet Trump!» analyse Antoine Glaser. «L’offensive sur Goma puis sur Bukavu coïncide avec son investiture. Kagame, qui est un homme du renseignement et un stratège, veut contrôler l’est du Congo tout comme Poutine veut contrôler l’est de l’Ukraine, le Donbass. Il est décomplexé, convaincu que la nouvelle administration américaine va changer de compor- tement à son égard», l’ex-président Joe Biden ayant par le passé sanctionné le Rwanda. «Soit Washington a donné son accord, souligne Thierry Vircoulon, soit le pouvoir rwandais a utilisé comme une opportunité la sidération produite par l’arrivée au pouvoir de Trump. Les Américains et les Euro- péens sont trop préoccupés par l’Ukraine et d’autres dossiers planétaires pour se soucier d’une “petite” invasion en Afrique centrale.» «Kagame a perçu le retour de Trump comme une sorte de feu vert, corrobore Antoine Glaser. C’est l’ère des hommes forts qui se moquent des frontières et des principes: Poutine, Trump, Xi Jinping... et Kagame. Et les Européens qui condamnent sont ramenés à leur statut d’anciens coloni- sateurs.» En Europe, la Belgique a la position la plus ferme, réclamant des sanctions contre Kigali. En réponse, Kagame a annoncé le 15 février la suspension de la coopération avec Bruxelles, accusant l’ancienne métropole de «faire partie du problème» et de mener une «campagne agressive». La France demande au Rwanda de cesser son soutien au M23; néanmoins, «Emmanuel Macron a toujours considéré Paul Kagame», relativise Antoine Glaser, qui a eu l’opportunité de s’entretenir avec ces deux chefs d’État. «On sent chez lui une certaine admiration pour Kagame, pour son engagement pour le numérique, pour la réussite économique du Rwanda. Et ce sont des soldats rwandais qui depuis 2021, dans le nord du Mozambique, protègent les installations du groupe français TotalEnergies contre les djihadistes. Kagame est indispen- sable, et il le sait.»
Le président rwandais a néanmoins peut-être effectué une erreur de calcul: le 21 février, le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a sommé Kigali de mettre fin à son soutien au M23 et de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC, sanctionnant au passage un acteur clé de la politique rwandaise en RDC: James Kabarebe, ministre de l’Intégration régionale du Rwanda et ancien directeur de cabinet de Kabila-père, en 1997-1998. L’avenir dira comment l’imprévisible Trump se positionnera surle dossier Kivu: «Il se fiche de l’Afrique,rappelle Antoine Glaser, seuls lui importent les minéraux stratégiques.» Et Tshisekedi l’a bien compris. Selon Bloomberg, il «courtise Trump», lui aussi, en proposant un accord sur ces minerais «en échange de son aide».
Début avril, Kigali organisera le Sommet mondial de l’intelligence artificielle (IA) en Afrique. A priori, le gratin des gouvernants et des décideurs économiques s’empressera d’y assister comme si de rien n’était. Business is business...