Rémi Carayol
Disséquer la guerre
Dans son ouvrage Le Mirage sahélien, le journaliste analyse l’intervention militaire française depuis l’opération Serval en 2013, sa débâcle avec la fin de Barkhane en 2022, ainsi que l’aggravation du conflit armé au Sahel.
Dans son ouvrage sorti en janvier dernier, Le Mirage sahélien, le journaliste Rémi Carayol analyse l’intervention militaire française au Sahel depuis le déclenchement de l’opération Serval au Mali en janvier 2013, jusqu’à la fin de Barkhane en novembre 2022. Si la première avait réussi à repousser les djihadistes et à reprendre le contrôle des principales villes du Nord-Mali, la seconde, dès 2014, s’était enlisée, les groupes liés à Al-Qaïda ou à l’État islamique ayant regagné du terrain et essaimé dans tout le Sahel. Profitant des injustices sociales, ceux-ci recrutent au sein des populations locales souvent démunies, abandonnées par les États. Poursuivant une « guerre contre le terrorisme », l’armée française – dont certains gradés sont encore familiers avec la présence de l’idéologie coloniale – a multiplié les erreurs. Le recours à la force militaire a envenimé la situation, sans régler les conflits régionaux, complexes, d’ordres politiques, économiques, sociaux. Et a provoqué un profond rejet de la présence militaire française auprès des populations. Depuis dix ans, Rémi Carayol couvre l’actualité du Sahel. Il coordonne également le comité éditorial du site d’information Afrique XXI, et écrit régulièrement dans Mediapart, Le Monde diplomatique, Jeune Afrique ainsi qu’Orient XXI.
AM : Pourquoi avez-vous choisi ce titre, Le Mirage sahélien, pour qualifier l’intervention française au Sahel ?
Rémi Carayol : Au-delà du jeu de mots avec le phénomène du mirage dans une zone désertique, il décrit avec pertinence, à mon avis, la vision que les autorités françaises, militaires ou politiques, ont de ce conflit. Elles le perçoivent avec des lunettes faussées. La vision qui prédomine chez les hauts responsables politiques épouse l’idéologie des néoconservateurs américains, lesquels ont joué un rôle majeur dans les années 2000, lors de l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan. C’est une vue binaire d’un choc des civilisations, d’une guerre qui opposerait l’Occident à l’islam, pour dire les choses telles qu’ils les pensent. Une partie de ces hauts fonctionnaires est persuadée que la guerre menée au Sahel relève de ce même présupposé : ces ennemis veulent notre mort, donc il faut les tuer avant qu’ils ne nous tuent. C’est une erreur d’analyse très grave.