Rokia Koné
Entre deux continents
La rose Bamako publie son premier album international Bamanan, produit par le producteur irlandais à succès Jacknife Lee. Une merveille .
C’est l'une des amazones d'afrique, du nom de ce supergroupe féminin qui, formé au Mali en 2015, célèbre le charisme vocal, l’engagement féministe, l’attachement à la poésie et aux traditions, mais aussi la curiosité artistique de ses membres. Née à Dioro, un village près de Ségou, Rokia Koné a grandi entourée de chanteurs… Aujourd’hui, elle s’allie avec le producteur irlandais Jacknife Lee. Ses faits d’armes ? Entre autres, les disques de U2, Bloc Party, Taylor Swift ou encore REM. Avec Rokia Koné, ils ont confectionné le très réussi Bamanan. Entre sonorités synthétiques et rythmes mandingues, il raconte la violence, mais aussi l’amour, rappelle l’inégalité criante des sexes et demande justice.
AM: Comment est née cette collaboration avec Jacknife Lee ?
Rokia Koné : Il a découvert ma musique alors qu’il faisait partie du jury d’un concours de remix pour Les Amazones d’Afrique. Nous n’avons pas eu la chance de nous rencontrer de visu car il a travaillé sur l’album depuis la Californie, où il réside, pendant la pandémie. Je ne connaissais rien de lui, ni des groupes avec lesquels il a collaboré ! Mais en écoutant le travail qu’il a fait avec ma musique, je l’ai aimé parce qu’il la rend accessible à de nouveaux publics.
C’est ce qui compte le plus pour vous, d’ouvrir votre culture au monde ?
Oui, car à l’avenir, les gens n’écouteront plus la musique malienne, du moins pas de la façon dont nous l’incarnons aujourd’hui. Il est important d’expérimenter et de développer ses sonorités. En travaillant avec Jacknife Lee, j’ai eu l’occasion d’explorer une autre façon de faire. Cela apporte du sang neuf à la musique en général, mais aussi, Inch Allah, ouvre de nouvelles opportunités pour ma carrière…
En quoi la culture bambara est-elle cruciale dans Bamanan ?
Au cœur de l’album, trois morceaux font référence à l’histoire et aux histoires du Mali transmises de génération en génération par les griots : « Anw Tile », « Soyi N’galanba » et « Bambougou N’tji ». Ces chansons racontent les parcours des grands héros bamanan de Ségou tels que Biton, N’golo et Bambougou N’tji. Certaines des paroles sont très anciennes, mais j’ai ajouté du texte et changé les mélodies et les rythmes. Il est important d’enregistrer ces vieilles chansons car ce sont elles qui nous rappellent nos origines et notre culture.
Pouvez-vous nous raconter la genèse, l’objectif du superbe morceau « N’yanyan » ?
Nous l’avons enregistré en août 2020, au Mali, durant la nuit du coup d’État. Nous n’avons pu faire qu’une seule prise avant qu’ils ne coupent l’électricité dans la ville et n’imposent un couvre-feu. « N’yanyan » fait référence à un étranger dont personne ne connaît l’origine. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas concrètement appréhender, que l’on ne peut ni voir ni toucher. Les griots affirment qu’ils ne savent pas ce dont il s’agit ! Cette chanson, très ancienne, a été créée par nos ancêtres afin de rappeler aux êtres humains leurs limites, leur mortalité, mais elle nous dit également que la vie dure longtemps… Nous ne sommes qu’à mi-chemin. Ces difficultés auxquelles nous sommes confrontés finiront par passer.