
Sénégal
Révolution, Acte II
Porté par les urgences de la population, le duo inédit et fragile de l’exécutif tente d’incarner un vrai changement dans un contexte économique adverse. Un an et demi après les résultats de l’élection présidentielle, l’heure d’un second souffle paraît être venue.
Les frères d’armes sous tension?

L’élection présidentielle du 24 mars 2024 marque une rupture historique au Sénégal. À peine libéré de prison, Bassirou Diomaye Faye s’impose dès le premier tour avec 54%des voix. Avec à ses côtés, à la fois dans l’ombre et dans la lumière, Ousmane Sonko, son mentor, libéré lui aussi à la veille du scrutin mais inéligible. Les deux hommes incarnent une alternance spectaculaire, la fin de l’ère Macky Sall (2012-2024), la volonté d’un changement profond, multidimensionnel, générationnel, social, sociétal. Avec une vision, un «projet» marqué à «gauche», le rejet d’un modèle d’émergence et de gouvernance «libérale», qui aurait montré ses limites, qui n’aurait profité jusque-là qu’à certaines «élites». Le Sénégal renverse alors la table tout en évitant la bascule violente ou le coup d’État stérile. Et en portant à la tête du pays des opposants jeunes, la quarantaine, pour beaucoup issus d’un milieu modeste et produits de la méritocratie made in Sénégal…
Et pourtant, dès ces jours de gloire et d’espérance, le duo de frères d’armes doit assumer une contradiction fondamentale. Diomaye Faye et Sonko ont fondé et traversé procès, arrestations, interdictions, répressions. Ils se présentent comme les deux faces d’une même pièce, cohérents et solidaires. Mais le plan A pour le pouvoir, c’était Ousmane Sonko, le tribun, porte-étendard du parti et des militants depuis 2016, candidat en 2019 (15%), figure de l’opposition frontale à Macky Sall. C’est lui qui a mené la lutte. Il l’a payé par de multiples arrestations, dont la sombre affaire Adji Sarr qui l’a fait condamner à deux ans de prison et qui a embrasé le pays. En 2024, c’est lui, inéligible donc, qui pousse la candidature de son ami pour «protéger le projet», lui qui électrise la campagne, lui que la rue acclame.
Mais voilà, ce n’est pas lui, le président.
Dès son investiture, Faye a nommé Sonko Premier ministre, confirmant le pacte de loyauté, mais aussi la logique du rapport de force politique. Le duo, inédit, se met en place. Les rôles se sont dessinés: au président le régalien, les institutions, la diplomatie. Et au Premier ministre la direction du gouvernement, la direction politique, la mise en place du projet et des réformes. Il y a une forme de complémentarité stratégique. Le président incarne une figure plus apaisée, consensuelle et institutionnelle, destinée à rassurer les partenaires internationaux et une partie des élites. Sonko, de son côté, conserve un rôle de mobilisateur et de porte-voix des réformes radicales, plus proche de la base militante et des aspirations de rupture. Cette complémentarité fonctionne tant qu’elle est perçue comme une division des tâches plutôt qu’une concurrence.
Et pourtant, au fil des mois, l’équilibre va se fragiliser. Le président bénéficie d’une Constitution taillée sur-mesure. Son domaine de compétences est large, nous sommes dans un régime présidentiel. Officiellement, il incarne le régalien, mais c’est lui aussi qui nomme, qui préside le conseil des ministres, c’est lui qui négocie et ratifie les traités, c’est lui, le chef des armées. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale, il peut gouverner par ordonnance dans certains cas… C’est Diomaye Faye qui annonce le retrait progressif des troupes françaises du Sénégal. C’est lui qui voyage et rencontre les chefs d’État, qui participe aux sommets internationaux.
La présidence, le palais et le protocole génèrent forcément de l’ambition. Et la primature est le lieu de toutes les contraintes, celui de la réalité économique et sociale, de la dette, de l’emploi. La révolution tant attendue a du mal à se mettre en place, accentuant justement les tensions au sommet de l’exécutif et sur toute la chaîne gouvernementale.
Au fil des semaines, les différences, souvent d’approches, de l’un et de l’autre apparaissent. L’équilibre entre le président et son Premier ministre devient instable. Les entourages familiaux, politiques, de l’un et de l’autre, cherchent à marquer leur territoire. Diomaye Faye se présidentialise «par le haut», concrètement. Sa démarche change, le look aussi. Il apprend vite au contact du grand monde. Il développe une image d’équilibre, de rationalité aux côtés de Sonko, l’impétueux, le populaire. Reste que le PM est un animal politique. Il garde la verve, le tranchant.
«Hyper-Premier ministre», littéralement sur tous les dossiers, il marque son territoire, comme le montre le dernier remaniement ministériel. Il cherche à se construire une image d’homme d’État, il voyage aussi. Il fait savoir, par un discours, par une intervention quand une initiative présidentielle lui déplaît. Et puis surtout, il reste encore populaire, en prise avec l’opinion. Il campe sur ses bases, mène activement le procès public de «l’ancien régime», accusé de tous les maux, garde le cap sur le thème plus ou moins nébuleux de la «souveraineté», se méfie de l’Occident, de la France.
Le Tout-Sénégal surveille la relation comme le lait sur le feu… On parle de coups de chaud, d’éclats de voix. Avec aussi des réconciliations plus ou moins rapides. Les deux hommes savent qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Pour l’instant. Des proches et des amis travaillent à tisser et à retisser les liens. La politique est forcément une affaire d’ambitions et de destins personnels. Mais la prochaine échéance présidentielle reste relativement lointaine (elle se tiendra a priori en mars 2029), et il s’agirait de ne pas entrer dans une crise institutionnelle et politique permanente, en cohabitation de facto, qui ruinerait le projet commun. Et risquerait de déstabiliser le Sénégal.
La quadrature du cercle économique

Au premier abord, et à écouter les acteurs de l’économie nationale, en particulier les entreprises, le système est en attente de redémarrage. L’arrivée au pouvoir du Pastef a entraîné une série d’audits qui ont perturbé les opérateurs et les investisseurs. L’activité est «en pause». Une commission d’examen des contrats pétroliers et gaziers a été mise en place pour réévaluer les termes et identifier les clauses «pesant sur l’intérêt national». Avec à la clé une mise en arbitrage. Dans le viseur aussi, les contrats d’affermage entre l’État, ainsi que les partenariats public-privé dans le secteur de l’eau potable, avec une attention portée sur certains projets (dessalement, etc.). Et aussi les contrats de travaux et d’équipements conclus avec des entreprises privées. Les redditions des comptes, demandées par l’opinion, ont entraîné de fait un quasi-arrêt des investissements, du dynamisme entrepreneurial. La nouvelle équipe a voulu maîtriser l’ensemble des dossiers économiques pour éviter le «coulage». Mais aussi pour faire le «ménage».
Une culture de l’audit, de la mise en ordre, de la vérification s’est imposée. Avec le stress des entrepreneurs et aussi le report plus ou moins de facto de la mise en place d’un nouveau projet, du volet des réformes économiques. L’autre point parallèle de blocage majeur concerne les comptes publics. Le nouveau pouvoir aura dû faire face dès les premiers jours à une véritable crise de la dette et du financement. Torpillant, au-delà de «l’ambiance audit», plus moins directement son projet de rupture sociale. Dès son investiture, le président Diomaye Faye a ordonné un audit des finances publiques et pointé les dérives dans les comptes de l’ancien régime. La Cour des comptes, dans un rapport rendu public en février 2025, révèle des «anomalies financières graves» entre 2019 et mars 2024, dont des dettes hors bilan et des chiffres de déficit sous-estimés. Le gouvernement s’est aussi tourné vers un auditeur indépendant, Forvis Mazars. Avec comme conclusion une forte réévaluation du stock de dette publique: de 74,4% du PIB officiellement déclaré fin 2023, le ratio est passé à environ 111%, puis 118,8% fin 2024. La dette globale «cachée et non cachée» du pays s’élèverait donc à plus de 40 milliards de dollars.
Parallèlement, le déficit budgétaire s’est creusé à près de 11,7%du PIB, largement au-dessus des critères de convergence de l’UEMOA. Les fortes tensions ont abouti à une dégradation de la note souveraine du pays (B- par S&P, juillet 2025). Et le programme de financement ECF/EFF, approuvé en juin 2023 (sous la présidence de Macky Sall) pour près de 1,9 milliard de dollars, a été suspendu en raison de misreporting, remettant en cause la crédibilité des statistiques publiques. En clair, l’État n’a pas de marge de manœuvre, il doit mettre en place un programme de réduction structurelle des coûts (subventions en particulier), et il veut honorer sa dette et éviter le défaut. Les caisses sont presque vides et sa capacité à relancer l’économie, via la commande publique, les grands travaux (nécessaires) d’infrastructures, est pour le moment plus que limitée. Tout comme sa volonté de promouvoir un projet ambitieux de réformes sociales.
L’une des clés, outre le recours actuel au marché régional de l’UEMOA, serait alors de renouer avec les institutions internationales, et en particulier le FMI. En août 2025, une mission s’est rendue à Dakar pour examiner le rapport préliminaire de Mazars et évaluer les engagements de réforme. Le FMI a jugé ce rapport globalement cohérent avec ses attentes, mais a indiqué que l’analyse complète prendrait encore plusieurs semaines. L’objectif partagé est de restaurer la crédibilité du pays vis-à-vis de ses bailleurs et de ses créanciers. Mais les semaines à venir seront particulièrement cruciales entre le siège du Fonds à Washington et les autorités à Dakar.
La stratégie et le pétrole

Clairement, le Sénégal traverse une phase charnière. Le paysage macroéconomique semble sinistré. Les mauvaises nouvelles ne manquent pas. Le pays avait ainsi annoncé en juillet dernier le lancement de son exercice de rebasage du produit intérieur brut (PIB). Pendant ce temps, la Guinée, qui a rapidement mené à bien ce processus, a ravi au Sénégal sa deuxième place au rang des économies d’Afrique de l’Ouest francophone, derrière la Côte d’Ivoire…
Pourtant, à y regarder de plus près, les perspectives économiques pourraient évoluer rapidement. Et sur un plan plus positif. Avec près de 6% en 2024, portée par les premiers effets du développement pétrolier et gazier, l’économie devrait accélérer encore en 2025 avec la mise en production de Sangomar et l’entrée en service du champ gazier GTA, dont la première cargaison de GNL a été expédiée en avril 2025.
Ces débuts marquent une étape historique: le Sénégal rejoint le cercle restreint des producteurs pétrogaziers africains. Les revenus attendus pourraient transformer les équilibres budgétaires et soutenir la croissance. Le gouvernement a affiché sa volonté d’auditer et, si nécessaire, de renégocier certains contrats signés sous l’ancien régime, jugés trop favorables aux opérateurs. Cette démarche, a priori juste et nécessaire, vise à garantir un meilleur partage de la rente. Mais elle comporte des risques juridiques liés aux clauses de stabilité contractuelle. Et le possible effet «climatiseur» sur d’autres éventuels investisseurs internationaux n’est pas négligeable. En mai-juin 2025, Woodside Energy (opérateur de Sangomar) a lancé une procédure arbitrale devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), à la suite d’un litige fiscal avec l’État.
En attendant, poussé par ces nouvelles ressources, le pays bénéficie d’une perspective de croissance parmi les plus élevées d’Afrique subsaharienne. La situation ouvre ainsi une double perspective: à court terme, la discipline budgétaire est indispensable pour éviter un emballement de la dette et rétablir la crédibilité des finances publiques; à moyen terme, l’essor des hydrocarbures peut transformer profondément l’économie, à condition que les recettes soient gérées de façon prudente et orientées vers la diversification, les infrastructures et le capital humain. Les risques demeurent élevés, qu’ils soient budgétaires, liés à la gouvernance ou à la volatilité des prix des hydrocarbures. Mais la fenêtre d’opportunité est réelle pour consolider le modèle de croissance sénégalais et renforcer sa soutenabilité. Tout sera in fine une question de stratégie et de gouvernance. Comment donner du sens à la souveraineté économique, chère à Ousmane Sonko, tout en favorisant le développement du secteur privé et des investissements extérieurs, qui sont la véritable clé de l’émergence? Comment répondre aux attentes des électeurs et de la base Pastef, tout en assainissant les comptes publics, et en se projetant sur le long terme? Comment investir au mieux la manne des hydrocarbures pour qu’elle réponde à la fois aux besoins de croissance et d’infrastructures, mais aussi à plus de justice sociale? Les deux frères d’armes, le président Diomaye Faye et le Premier ministre Sonko, leurs équipes, leurs entourages, sont au pied du mur.
L’attente de la population

Le jeune chef d’État a été élu le 24 mars 2024 sur un programme de «rupture». Sur le triptyque des trois «j », soit : Jub, Jubbal, Jubbanti («droiture, transparence et réforme») en wolof. Sur ces points, la politique menée depuis un an et demi dans le pays semble avoir fait avancer les choses. La lutte contre la corruption a été lancée et les sanctions, notamment pour des barons indélicats de l’ancien régime, tombent les unes après les autres. Certaines mesures sont venues enrayer les petites pratiques en sous-main au quotidien, avec les policiers par exemple, auxquels on ne peut plus, en théorie, glisser un billet pour éviter une contravention.
Le nouveau ministre de l’Intérieur, Mouhamadou Bamba Cissé, dès son arrivée au gouvernement le 6 septembre dernier, a entrepris de mener la guerre aux vendeurs ambulants, mendiants et autres individus en infraction qui prolifèrent anarchiquement dans Dakar et sa banlieue, en ordonnant des déguerpissements. À part les concernés, les Sénégalais voient ces améliorations d’un bon œil. Mais l’autre promesse, majeure, celle selon laquelle le social deviendrait un secteur prioritaire, peine encore à être suivie d’effets concrets. Dès juin 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé une réduction des prix sur les produits de première nécessité, comme le pain, le sucre ou l’huile. Mais depuis, la difficulté à faire appliquer ces nouvelles règles aux commerçants a pratiquement ramené lesdits produits à leur prix d’avant. La viande de bœuf, quant à elle, reste très chère avec un prix au kilo à plus de 4000 FCFA.
«La volonté y est, mais pas encore le compte… Il faut laisser un peu de temps au président et à son chef de gouvernement pour réussir le projet. Notamment en matière de restauration du service public pour la santé, l’éducation, l’emploi. Ils ont beaucoup communiqué sur la dette abyssale que les années Macky ont laissée en héritage pour faire comprendre aux populations qu’il va falloir patienter avant qu’ils aient pleinement les moyens de leur politique», déclare un observateur de la place. Et en effet, un an et demi après avoir exprimé leur choix dans les urnes, les Sénégalais semblent y croire et acceptent de patienter.
Pour les femmes?

Deux jours avant le 8 mars dernier, date de la Journée internationale des droits des femmes, le président Diomaye Faye rappelait en conseil des ministres l’urgence de finaliser le projet de loi sur l’autonomisation économique de celles-ci. Selon lui, le renforcement de leur rôle dans le développement économique et social du Sénégal est essentiel. Une conviction qu’il a exprimée le 22 septembre dernier à New York, en marge de la 80e Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de la réunion consacrée au 30e anniversaire de la Conférence mondiale sur le droit des femmes (Beijing +30) : « J’appelle la communauté internationale à un sursaut collectif, rappelant que l’égalité est une exigence morale et universelle. Aucune société ne peut se développer en laissant ses femmes et ses filles à l’écart. La lutte contre les violences et discriminations est un combat permanent qui engage États, citoyens et leaders.»
En ce qui concerne son pays, il a affirmé que «dans le cadre de la Vision Sénégal 2050, les femmes et les jeunes sont placés au cœur du projet de société, comme piliers de la stabilité et moteurs de la prospérité durable». Des propos bienvenus dans un contexte social où la polygamie touche un quart des ménages et où la condition féminine, façonnée par les coutumes et les religions locales, évolue lentement. Pour preuve, seules quatre femmes ont été nommées dans le gouvernement en avril 2024, sur 25 ministères et cinq secrétariats d’États, et à peine cinq lors du remaniement de septembre dernier. Leur taux de chômage est beaucoup plus élevé que celui des hommes, et plus d’un tiers des femmes ou jeunes filles âgées de 15 ans ou plus subissent des violences chaque année. Ces dernières, le plus souvent étouffées dans le giron familial, aboutissent rarement à une condamnation de justice. La déclaration du président Diomaye Faye, dont le contenu constituait déjà une promesse de campagne lors de son élection, n’a pas échappé aux organisations féministes locales. Une quinzaine d’entre elles ont réagi en signant un communiqué conjoint, autour du thème: «Monsieur le président, après votre discours à l’ONU, place aux actes. » En déroulant une triste litanie des réalités, depuis l’absence de reconnaissance du féminicide dans la législation pénale jusqu’à l’interdiction de voyager sans l’autorisation du mari, en passant par l’absence de sanction pour les mariages d’enfants consommés à partir de 13 ans, même s’ils sont fixés à 16 ans. Dans un pays où les femmes composent 49,4% de la population, et qui a ratifié la plupart des déclarations internationales en faveur de leurs droits, il est temps en effet de passer «à l’acte ». Malgré les réticences d’une société ancestralement patriarcale.
Le défi des Jeux

Fin octobre 2026, Dakar devrait accueillir les quatrièmes éditions d’été des Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ). Pour la première fois de l’histoire, une compétition olympique se déroulera sur le sol africain. Un symbole fort pour la jeunesse du pays, pour la jeunesse du continent, mais aussi un test grandeur nature pour le Sénégal. Avec des retombées stratégiques positives (ou négatives) en termes de soft power global. Et pour l’actuelle équipe au pouvoir.
Trois mille jeunes athlètes du monde entier (représentant près de deux cents comités olympiques nationaux) devraient se retrouver sur trois sites: Dakar, Diamniadio et Saly. Trente disciplines en compétition sont prévues. Avec une parité parfaite entre filles et garçons. Plus des événements culturels. Les médias globaux seront là. Avec l’effet de loupe. Ce sera l’occasion pour le Sénégal de montrer son meilleur visage. De répondre aussi à la question du sens de ces grandes manifestations. Plus de 60% de la population a moins de 25 ans. Et cette jeunesse, souvent précarisée, est en recherche de projets mobilisateurs, d’implication sociale. L’axe central, c’est donc de faire de ces jeux leurs jeux. Et les jeux de tous les jeunes Africains.
La machine est en marche depuis 2018, à Buenos Aires, lors de la désignation de la ville. Depuis, Mamadou Diagna Ndiaye, président du Cojoj (le comité d’organisation) et membre du Comité international olympique (CIO), parcourt le monde avec ténacité et enthousiasme pour mobiliser les soutiens et les partenariats. Et l’équipe locale dirigée par Ibrahima Wade travaille quasiment «nuit et jour» pour tenir les délais. Très vite, au lendemain de son élection, Bassirou Diomaye Faye s’est emparé du dossier, menant des entretiens avec l’ancien président du CIO Thomas Bach lors des JO de Paris, en août dernier, et à Dakar en octobre 2024. En septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le président a rencontré Kirsty Coventry, nouvelle présidente zimbabwéenne du CIO, première femme et première Africaine à diriger l’institution. Ces gestes sont forts. Mais l’organisation des JOJ dépasse largement la présidence: elle engage la primature et donc Ousmane Sonko, plusieurs ministères, la ville de Dakar et son tout nouveau maire (depuis août dernier) Abass Fall. Le tout, on l’a vu, dans un contexte budgétaire tendu et avec des équilibres politiques instables.
En tout état de cause, le compte à rebours final est définitivement enclenché. Il faut finaliser les chantiers, régler les problèmes d’infrastructures et de circulation, boucler les procédures de sécurité, accueillir des milliers de jeunes sportifs et des milliers de visiteurs du monde entier, être à la hauteur du cahier des charges du CIO en termes d’organisation autour et dans les sites. Dakar 2026 sera donc bien plus que la célébration d’un grand événement sportif et culturel. Ce sera un moment de vérité pour le Sénégal d’aujourd’hui, pour sa capacité à faire, à s’unir, à s’organiser. Et à déplacer quelques montagnes s’il le faut.
Une mission de long terme
Le Sénégal a des atouts, du talent, de l’intelligence. Il a une histoire, une culture, un tempérament national. C’est une démocratie imparfaite, où la tentation autoritaire reste sous-jacente, hier comme aujourd’hui, mais c’est une démocratie quand même, qui résiste, qui assure l’alternance et une certaine liberté d’expression.
Le Sénégal reste un pays pauvre, pour reprendre le jargon international, un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure avec un revenu par habitant d’environ 1500 USD/ an (2024). Mais c’est aussi un pays en croissance, avec des ressources naturelles, une grande façade maritime, une ouverture vers l’Atlantique, à mi-chemin entre le nord et le sud du continent. Le potentiel est là. Pour réussir, pour que l’alternance ait du sens, pour que s’impose cette nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques incarnés par le Pastef, par ses deux leaders, il faudra faire preuve à la fois d’audace et de réalisme. Mobiliser les forces pour la croissance, la confiance, l’investissement. Et donc l’emploi, et donc la justice sociale.
Comme nous l’avons déjà écrit dans Afrique Magazine [AM 454, avril 2024, AM 459-460, décembre 2024], quelque chose d’avant-gardiste se joue à Dakar. Ce besoin de changement systémique, la demande de justice sociale, l’énergie et les exigences de la jeunesse, le changement de génération, cette nécessité de créer un autre rapport avec les puissances du monde nous interpellent tous. Mais changer le monde justement, changer le Sénégal, ne se fera pas du jour au lendemain. Le chemin sera long. Il faut des actes, des progrès, des évolutions réalistes. Et que l’on soit en accord ou en désaccord sur le plan idéologique, c’est aujourd’hui la mission de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko.