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Ce que j'ai appris

Souad Asla

Par Astrid Krivian - Publié en octobre 2022
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Souad Asla.MOHAMMED MENNI
Souad Asla.MOHAMMED MENNI

Pour la chanteuse Algérienne, la musique est un art d’émancipation et de liberté. Avec son groupe 100 % féminin Lemma, elle fait vibrer les chants ancestraux de la région désertique de la Saoura et célèbre un patrimoine menacé.

J’ai grandi à Béchar, aux portes du désert. J’ai eu une enfance joyeuse. Je rêvais de danse, de théâtre, de cinéma. Comme il n’y avait pas de conservatoire, j’ai appris à créer mes spectacles avec mes nièces et mes cousins. J’étais la cheffe ! Je sentais qu’il y avait une puissance, un monde à découvrir. J’étais très curieuse des autres pays, des différents styles musicaux, d’ici et d’ailleurs.

Je voulais aussi être photographe de guerre. Mon père, politicien, me parlait des actualités du monde. J’avais envie de voyager, de couvrir les conflits. Mais mon père jugeait que ce n’était pas un métier pour moi. C’est là que s’est produit un déclic en moi : pourquoi me le refuse-t-on ? Dès l’adolescence, les interdits commençaient à tomber, ça me dérangeait beaucoup. J’ai d’abord mis de l’eau dans mon vin. Je n’avais pas le choix, j’étais très jeune. J’ai suivi des études scientifiques selon le souhait de mon père. Puis, je suis tombée amoureuse d’un Français. On se voyait en cachette. Il a demandé ma main, mais mes parents ont refusé. Mon père m’a expliqué : ce n’était pas une décision personnelle qui lui appartenait, il fallait l’accord des frères, des oncles, tout ce poids de la société.

À 20 ans, j’ai tout quitté. Même si je voulais construire dans mon pays, mes rêves étaient plus grands que ma vie quotidienne. C’était un choix déchirant, mais je tenais à ma liberté. Mes parents n’étaient pas d’accord, je suis donc partie sans prévenir. Trouver ma place en France, m’habituer à l’éloignement, c’était difficile au début. J’ai fait les vendanges, ça m’a plu cette responsabilité, de travailler pour gagner son argent. Et j’ai intégré une école de théâtre. J’étais très bonne en improvisation. Mais le milieu du cinéma m’a déçue. Je voulais jouer tous les rôles, or on ne me proposait que des personnages caricaturaux.

La musique est arrivée par hasard. La grande musicienne Hasna El Bacharia recrutait des chanteuses et m’a proposé de devenir choriste. J’ai d’abord refusé, je n’avais pas confiance en ma voix. Mais quand elle m’a présenté la feuille de route de la tournée, je me suis dit : quel moyen de voyager ! J’ai compris que nos musiques traditionnelles étaient un vrai trésor. Je l’ai accompagné pendant dix-sept ans, tout en initiant mes projets à côté.

Pendant longtemps, je refusais de jouer en Algérie, ou je me cachais derrière une percussion pour ne pas être filmée. C’était très dur de me libérer. J’ai fini par me réconcilier avec ma famille. Ils ont compris ma démarche. Et monter le groupe Lemma, avec des femmes de la Saoura, de toutes générations, a été une libération [spectacle notamment présenté au festival Les Suds, à Arles, ndlr]. Libres, elles affrontent la société, elles jouent sur scène. Elles m’ont libérée de mes peurs, donné de la force. Aujourd’hui, j’adore jouer dans mon pays.

En revenant des années après dans ma région natale, j’ai compris la grandeur de ce désert, sa spiritualité. Et pourquoi nous sommes plutôt calmes, taciturnes. Avant, ça m’énervait, je trouvais les gens lents, pour moi, il fallait parler, vivre ! Pour me ressourcer, je pars dans mon désert. Je remercie l’Univers d’être née là-bas. J’y ai appris l’importance de la famille, des racines. Quand on est bien enracinés, on peut s’élever après.