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Sous l'épaisseur de la burqa

Par Calixthe Beyala
Publié le 22 février 2011 à 13h42
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Ces femmes m’apportent des visions de rêves ensoleillés, de mers turquoise aussi remueuses que tièdes ; elles me donnent l’impression que la vie pousse en moi et m’entraîne vers les portes secrètes de l’infini.

Voilà qu’est apparue la femme burqa, le mot est introuvable dans mon dictionnaire ; j’ignore ce que c’est que cette femme enveloppée dans un linceul noir, et qui erre dans les rues, incapable de charrier des rythmes ou d’illuminer les mouvements de la vie. Je la vois çà et là et, à chaque fois, je sursaute comme sur le coup d’une morsure ou d’une piqûre. On dit que c’est religieux, je n’y crois pas, car je suis convaincue qu’aucune des trois religions monothéistes ne saurait désencombrer les femmes de leurs seins, des arrondis de leurs hanches et de leurs fesses… À moins qu’il ne s’agisse d’une religion encore inconnue des humains…

Oui, quand je croise une femme burqa, les mots me manquent, car en elle aucune beauté ou scorie à décrire, juste un cauchemar qui m’amène vers l’enfance, lorsque je croyais encore à l’existence d’esprits malfaisants, aux fantômes rôdant dans les ruelles obscènes en quête de sang ou d’âme à aspirer. Oui, toute la fantasmagorie liée à la magie noire me peuple et me bouleverse.
Je pense à ces êtres maléfiques encornés, aux pieds sabotés, enveloppés nuit et jour dans une odeur de soufre, dotés de pouvoirs considérables leur permettant de se déplacer dans l’espace-temps sans marcher, sans courir, sans se téléporter ; j’en frémis car je ne suis pas dans Star Trek – j’aime la science-fiction –, j’en frémis car mes sens perçoivent qu’elle charrie sous l’épaisseur de sa burqa la mise à mort de la sensualité, le dépeçage de l’érotisme, le démembrement du plaisir, la vivisection du ravissement, en deux mots comme en mille, elle symbolise l’agonie de la femme étoile, libre d’aller dans le ciel ou de disparaître ; libre d’expédier dans les airs des sons gais comme des trilles d’oiseaux ou crépitant de colères autrefois enfouies ; libre de se transformer en cerf-volant et d’offrir son insolente frivolité aux quatre temps.

Oui, lorsque apparaît la femme burqa, je bougonne, bileuse et acariâtre. Je tempête, coléreuse et hargneuse. J’ai envie de lui arracher son accoutrement massacreur de grandeur et de luminosité. Mes doigts me démangent, je ne le peux pas, prisonnière que je suis des règles du droit et de ses interdits.
Pour le droit justement, des hommes politiques disent qu’ils vont adopter des textes de loi interdisant son port en France. J’en ris, car aucune interdiction n’a jamais empêché l’être de penser, n’est-ce pas ? Aucune loi, aussi répressive soit-elle, n’ôtera ses chaînes de la tête de la femme burqa. Peut-être l’éducation, peut-être… Je n’en sais rien.
Alors je me tais furieuse, juste furieuse contre elle si égoïste, qui refuse de satisfaire l’appétit de mes yeux.

Chronique [ POING FINAL ! ] de Calixthe Beyala parue dans le numéro 294 (mars 2010) d'Afrique magazine.