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Talents gâchés

Par empontie - Publié en avril 2011
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En tête du hit-parade des mal-aimés, les stylistes. Les pauvres continuent à tourner dans des défilés, à broder, filer, perler des modèles sublimes, uniques sans jamais trouver une vraie clientèle. À part deux ou trois first ladies ou épouses de DG, les femmes continuent de rêver que leur chéri leur offre la dernière robe de princesse vue dans un magazine occidental branché, et les moins fortunées investiront dans un tailleur viscose uni acheté à Strasbourg-
Saint-Denis, bien plus beau à leur oeil que le pagne imprimé ou tissé, vendu sur le marché.

Les stylistes le savent, se cherchent, pas assez soutenus par les investisseurs privés pour exister, se développer, produire en série. Viennent ensuite les artistes ou artisans, qui peignent, sculptent, fabriquent de jolis meubles en rotin ou en bois précieux qui iront décorer les maisons de passage des expatriés blancs en Afrique, mais jamais le salon d’un ministre, trop attaché au signe extérieur de richesse que représente l’énorme canapé en Skaï blanc venu de Chine ou de la rue Saint-Honoré parisienne. Rare aussi de voir un tableau ou une installation contemporaine locale chez une autorité du cru. Une immonde petite aquarelle représentant un bateau de pêcheur breton ou un piaf stylisé est plus adulée… Les cinéastes s’arrachent les cheveux à faire des films que seuls les festivaliers voient et qui ne sor-tent jamais en salle.

Les longs-métrages, soutenus à grands frais par des capitaux occidentaux, périclitent au profit des séries sirupeuses ou des films indiens à deux balles. Même la musique africaine, surconsommée sur le continent, ne nourrit jamais son homme. Le piratage y fait rage, au point que jamais un artiste, aussi génial soit-il, n’arrive à s’en sortir. Passons sur les spectacles de danse ou de théâtre. Totalement confidentiels, ils se jouent devant une poignée de rastas blancs. Pas un consommateur local non plus. Pas un soutien local non plus.

Franchement, je trouve ça désespérant. Dois-je rappeler que si les marques françaises ou américaines cartonnent dans le monde, c’est d’abord parce que leur propre marché les consomme à outrance. Et sans aucun complexe ! Résultat, ils existent, créent, prospèrent, font la fierté de leur pays. Pourquoi, nom d’une igname, les Africains ne
comprennent-ils pas ça ? C’est tellement moins cher, plus chic, plus utile, plus intelligent de soutenir les produits pur cru. Alors, faites un effort ! Regardez autour de vous, choisissez, piochez, et prenez ce qui vous plaît.

Par EMMANUELLE PONTIÉ