Trois vœux pour l’aviation africaine
En l’espace de deux ans, l’aviation commerciale africaine a encaissé simultanément deux chocs terribles : celui des restrictions liées à la pandémie, parmi les plus sévères au monde et celui d’une instabilité politique et sécuritaire, frappant la bande du Sahel et l’Afrique de l’Est. Insuffisamment capitalisé, structurellement déficitaire, asphyxié par les taxes et redevances de toutes sortes, quel peut être le devenir de ce secteur critique pour le développement du continent ?
La réussite éblouissante d’Ethiopian Airlines mise à part, le paysage aérien laisse entrevoir une réalité uniforme. Le modèle - partout ailleurs délaissé – du pavillon national prévaut pourtant sur notre continent : en haut de l’affiche, les premières, faisant la « une » des achats d’aéronefs, soutenues à coup de milliards de dollars par le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Rwanda comme le service public aérien de leurs économies nationales respectives mais aussi comme un symbole d’émergence et comme un outil politique. Les autres, en totale déconfiture, allant de restructuration en restructuration, en Afrique du Sud, en Afrique Centrale, ou en Namibie.
Les États africains semblent investir davantage, en proportion de leur budget public, dans leurs compagnies aériennes que leurs homologues d’autres continents, qui ont ces 30 dernières années, privatisé, marié ou mis en bourse leurs instruments nationaux.
Est-ce de cela que l’Afrique a besoin ? Est-ce ainsi ? Je n’en suis pas sûr. Je fais ici trois vœux pour l’aviation africaine. Puissent les professionnels du secteur, les décideurs politiques et les hommes de bonne volonté s’y pencher.
Premier vœu : Que les États réservent 10% de ce qu’ils consacrent aujourd’hui en acquisition d’aéronefs et en subvention de compagnies nationales, à la formation des jeunes Africains aux métiers de l’aviation.
Une compagnie aérienne repose sur la compétence et le savoir-faire. Il faut cinq ans pour faire une compagnie aérienne et quelques mauvais choix pour la défaire. Rien de durable ne peut être construit sans compétences. Les États sont attendus partout dans le domaine de la formation des pilotes, des navigants commerciaux, des agents de l’exploitation sol, des mécaniciens avions, mais aussi des cadres et des dirigeants. Pourquoi ne pas financer des simulateurs plutôt que des avions ? Pourquoi ne pas donner des visas à des instructeurs plutôt que d’espérer que les jeunes Africains qui partent se former ailleurs reviennent un jour ? La formation dans ce domaine de haute technicité est le socle manquant de notre développement. L’Afrique attend ses centres de maintenance aéronautiques et ses instituts de formation de l’aérien, avec une urgence infiniment supérieure à l’acquisition du dernier né de chez Boeing ou Airbus.
Deuxième vœu : Que les institutions financières du continent contribuent à l’avènement d’une ou plusieurs sociétés de leasing panafricaines, venant en appui des projets privés d’aviation régionale.
Il ne sert à rien de partir à la conquête du long courrier sans un solide réseau domestique et régional, dont la stabilité et la fiabilité sont décisives pour les deux faces de l’économie africaine, formelle et informelle. Regroupant des financiers et des professionnels de l’aérien, ces nouvelles sociétés de leasing (« lessors »), créées en Afrique et pour l’Afrique, pourraient filtrer les projets de qualité et réduire le coût du capital des flottes opérées sous nos cieux. Elles mettraient en place des économies d’échelle et se spécialiseraient sur ce fameux « risque africain », qui inquiète tant, au Nord.
La recherche de souveraineté en matière aérienne fait particulièrement sens lorsqu’elle porte son action sur les causes de déséquilibre entre le Nord et le Sud : le coût du capital et le déficit d’expertise en constituent les principales.
Troisième vœu : Que les compagnies aériennes africaines s’unissent et créent des alliances panafricaines, équilibrées et vertueuses.
Le transport aérien mondial regroupé en trois grandes alliances, deux super-connecteurs et une demi-douzaine de grands low cost fonctionnent en réseau. Chaque opérateur aérien n’a de valeur que par ce qu’il apporte, de nouveau ou de différent, à cette architecture globale.
En Afrique, le salut du secteur passe donc comme partout par l’ajustement stratégique des réseaux de routes aériennes, la conclusion d’accords de partage de recettes et la mise en œuvre de coopérations techniques. Ce n’est malheureusement pas fait et cela doit changer. Les compagnies doivent cesser de détruire de la valeur, en s’élançant toutes sur les mêmes routes sans avoir étudié au préalable les coopérations possibles. Orgueils nationaux, déficit de compétences, compétition entre États, l’Afrique de l’aérien ne joue pas collectif.
Or, si les compagnies n’échangent pas entre elles, si elles ne trouvent pas des axes d’alliance ou d’opportunité de mettre en commun des moyens, tout succès commun se révèle impossible. Au mieux, elles laisseront à d’autres, à l’extérieur du continent, le soin d’organiser leur économie.
J’appelle donc mes collègues et confrères du continent à travailler ensemble, dans les cercles de notre industrie, mais aussi, en bilatéral, à chaque projet de nouvelles routes. Je les prie d’étudier les voies et moyens d’alliances panafricaines nous permettant d’asseoir nos modèles d’exploitation, de réduire nos coûts et de coordonner nos développements. J’invite aussi les pouvoirs publics à favoriser ces initiatives au travers de l’action des autorités de tutelle, à concevoir des mécanismes incitatifs sur le plan écologique pour en promouvoir les aspects vertueux, tout en protégeant le consommateur. Pourquoi - par exemple - ne pas diviser le montant nominal des taxes par deux mais les appliquer au nombre de sièges et non au nombre de passagers transportés ? Trop de moyen-porteurs volent faiblement remplis, là où la capacité de turbopropulseurs serait suffisante.
L’établissement durable de deux ou trois alliances panafricaines sur le continent est un préalable indispensable à la création d’un ciel unique. Faute de quoi, c’est tout simplement ceux qui sont capables de miser (et de perdre) le plus qui domineront ce ciel unique, puis ensuite revendront leurs positions sur le marché mondial. Selon les objectifs visés, ces alliances pourront aussi prendre la forme de participations croisées ou de groupements d’intérêts économiques, mais elles doivent avant tout se structurer sous la forme d’une arborescence couvrant tout ou partie du territoire africain.
Si Air Afrique a disparu, les valeurs qui ont présidé à sa création peuvent lui survivre.