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Sécurité à Bamako

Un défi à relever

Par Olivier DUBOIS - Publié en janvier 2017
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Vigilance, dissuasion et protection : la mobilisation est maximale au sein des forces de l’ordre et de l’armée pour assurer le calme dans la capitale.

Ousmane arpente le goudron non loin du  pick-up bleu marine flambant neuf dont les portières arborent l’inscription « police » en lettres blanches. Les mains serrées sur la crosse de son fusil Kalachnikov, dans la chaleur montante de la matinée, il scrute le flot incessant des véhicules et des motos qui, dans la poussière et les nuages des  pots d’échappement, tentent de se frayer un passage vers les ponts de Bamako pour gagner le centre-ville.

Le policier fait partie de ces unités d’intervention, composées de cinq à six hommes, armés, équipés de casques et de gilets pare-balles, placés depuis quelques semaines aux principaux carrefours et postes de sécurité de la capitale. Ils protègent les habitants et dissuadent, de jour comme de nuit, la criminalité en hausse ces derniers temps.  

Depuis quelques mois, Bamako n’est plus épargnée. Les  crimes de droit commun, les attaques à main armée et braquages ne sont plus cantonnés à la périphérie et aux alentours de la capitale. Ils ont gagné le centre-ville, accroissant le  sentiment d’insécurité au sein de la population.

Le braquage d’un client de la banque Ecobank, commis en plein jour, alors  qu’il venait d’effectuer le retrait d’une importante somme d’argent, a sidéré les Bamakois. Les malfrats ont ouvert le  feu avant de disparaître avec leur butin, malgré la présence  des forces de l’ordre. L’attaque de la ville de Banamba, située à environ 140 km de la capitale, où des assaillants armés  ont pris d’assaut la banque ainsi que la prison, libérant les détenus avant de fuir avec des véhicules de la gendarmerie, a définitivement marqué les esprits.  

Dans ce contexte, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le général Salif Traoré, a été vivement  interpellé. « Nous allons récupérer du terrain. Face à cette  situation, la police et les armées classiques ne peuvent  pas agir efficacement. C’est pourquoi nous sommes dans  une dynamique de rendre les troupes plus combatives et  donc de créer des forces spéciales », a-t-il déclaré.

Depuis, les Bamakois ont pu constater une plus grande présence  policière et la multiplication des patrouilles de contrôle et  de dissuasion dans les zones dites criminogènes. La force  spéciale antiterroriste (Forsat), 180 policiers et gendarmes  d’élite appelés à intervenir sur-le-champ et dont la mission est de contrer la menace terroriste, a été mise à contribution pour renforcer les effectifs déjà présentes sur le terrain.  C’est que l’enjeu est de taille pendant le 27e  Sommet Afrique-France. Au total, ce sont quelque 3 000 personnes, dont de nombreux chefs d’État et  de gouvernement, qui sont attendus.

La communauté  internationale aura les yeux braqués sur Bamako et un  bon déroulement de l’événement passera forcément par  un dispositif sécuritaire efficace autour de ces hôtes de  marque. « Des gendarmes quadrilleront la ville pour  empêcher toute incursion des terroristes et mettre hors état  de nuire les bandits. Le dispositif de sécurité sera également renforcé sur l’axe Bamako-Sikasso et Bamako-Ségou. La  Forsat sera également déployée dans la ville. De plus, les  antennes régionales de la gendarmerie seront bientôt dotées d’une direction de transmission », a expliqué le colonelmajor  Satigui Moro Sidibé, directeur de la gendarmerie,  qui entend mettre en place un dispositif sécuritaire sans  précédent aux endroits stratégiques de la capitale et  dans ses banlieues. Environ 5 000 personnels de sécurité seront actifs dans Bamako et certains axes seront fermés.

 

EXTENSIONS LOCALES  

La sécurité des hôtels et restaurants huppés de la  capitale sera elle aussi renforcée, en s’appuyant sur la  vidéosurveillance et les contrôles à l’entrée des bâtiments, notamment via des portiques de sécurité et des fouilles systématiques des personnes et des véhicules. En plus  de leur propre service de sécurité, les hôtes du Sommet pourront bénéficier de 500 gardes du corps formés pour protéger les délégations de haut niveau.  

Dans le contexte de tensions actuel, l’intérieur du pays  sera également concerné par le dispositif. Des brigades de  gendarmerie, notamment fluviales, seront opérationnelles  dans de nombreuses villes, dont Gao, Ténenkou, ainsi  que dans les régions de Ménaka et Kidal, qui connaissent  depuis quelques mois une intensification des attaques terroristes.

« Rien que pour le mois d’octobre 2016, la  Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies  pour la stabilisation au Mali (Minusma) a été visée cinq  fois sur seize attaques et deux de nos soldats sont morts »,  déplore l’un de ses cadres militaires en poste à Gao. Le  groupe djihadiste Ansar Dine, dont le leader Iyad Ag Ghaly a juré d’attaquer les forces internationales où qu’elles se trouvent sur le territoire, reste la principale menace pour  les forces étrangères et maliennes.

Les attaques menées par Ansar Dine commencent à s’étendre aux régions du centre où elles sont relayées par la Katiba Macina du prédicateur Hamadoun Koufa dans la région de Mopti. « Il y a dans cette  zone des liens solides tissés entre les différents groupes comme Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et aussi d’anciens du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), dirigés par Abou Walid Al-Sahraoui, qui s’est considérablement rapproché de l’État islamique. Ils évoluent dans les forêts vers la frontière du Niger et du Burkina, la zone de Ménaka et du Macina »,  souligne un officier de renseignement sous anonymat.

Pour contrer la menace terroriste, la force française Barkhane,  forte de 3 000 militaires, opère sur le sol malien en  coopération avec les forces maliennes, ainsi que dans cinq  pays du Sahel. Leur action a permis de mettre plus de 200  « terroristes » hors d’état de nuire.  

Le Mali, conscient du défi sécuritaire à relever, s’est  lancé, conformément à la loi quinquennale d’orientation et  de programmation militaire (LOPM), dans le renforcement  de son outil de défense. En l’espace d’une année, les effectifs de l’armée sont passés de 8 200 soldats réguliers à environ 10 000 aujourd’hui. La formation de ces militaires, assurée  par la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali), a permis de constituer huit bataillons de type GTIA (Groupement tactique interarmes) entraînés  aux techniques d’infanterie, d’artillerie, de commandos et  de renseignement tactique.

Tous ces contingents, une fois  formés, sont déployés sur différents théâtres d’opération,  l’objectif étant de couvrir toutes les régions. « On a changé  notre stratégie générale qui occasionnait des difficultés sur le terrain. Un effort a aussi été fait pour mieux assister les soldats maliens, notamment sur le plan moral », explique un  haut gradé de l’armée.  

Le budget de la défense, qui a augmenté en 2016, a permis  l’achat d’armes et d’équipements, comme deux hélicoptères Super Puma récemment acquis. « Malgré tout, l’étendue du territoire et la guerre asymétrique menée par les assaillants, qui peuvent se fondre dans la population ou traverser une frontière, sont les principales difficultés pour la projection  des forces », explique le commandant Modibo Namane Traoré.

Un réel retour à la sécurité sur le territoire malien  prendra du temps, dans un pays où les attaques contre des  institutions de l’État, les forces militaires et les civils sont devenues monnaie courante. Mais, une bataille semble  enfin en passe d’être gagnée, celle de la communication, qui  n’occasionne aucune perte de l’ennemi sur le terrain mais  parvient tout de même à rassurer la population.  

 

UNE ACCALMIE FRAGILE

Dans le septentrion, la majorité  des acteurs aspire à la paix, mais  l’application des Accords signés  en 2015 se heurte  à différentes résistances.  «Les problèmes sont multiples, la volonté  d’indépendance de certains groupes, les  tensions entre communautés et mouvements  rivaux, les trafiquants de drogue,  le terrorisme international, le crime organisé,  tout cela concourt à rendre difficile un retour de l’administration  malienne et de la paix », résume Ousmane Kornio,  spécialiste en gestion des conflits.

La paix est un concept à géométrie variable dans le septentrion malien. La signature  de l’Accord de paix d’Alger, le 20 juin 2015, a mis un terme  à trois ans de guerre entre l’État malien et les différentes factions touarègues, ces dernières se combattant aussi entreelles. D’un côté, il y a le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad  (HCUA), réputé proche des djihadistes d’Ansar Dine, et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA),  héritier des courants indépendantistes issus des années 1990, tous deux rassemblés dans la Coordination des mouvements  de l’Azawad (CMA).  

De l’autre, c’est le Groupe autodéfense touareg Imghad  et alliés (Gatia), affilié à la Plateforme des mouvements pro-Bamako (alliance de groupes armés maliens pro-gouvernementaux),  qui a affronté la CMA aux côtés de l’armée  malienne. Le 2 février dernier, une colonne de 50 véhicules  du Gatia entrait dans la ville de Kidal, fief de la CMA, en application de l’Accord d’Anefis, une évolution qui témoignait  du dégel effectif des relations entre les deux factions rivales.  L’accalmie a néanmoins été brève. Durant les six mois de  cohabitation entre le Gatia et la CMA, une tension s’est installée,  concernant notamment la gestion socio-économique  de la ville de Kidal.  

 

LES PATROUILLES ONT COMMENCÉ  

La crispation a atteint son point culminant à la mi-juillet mais, les Accords de Niamey, signés au Niger le 19 juillet, ont  permis de désamorcer la situation. Sauf que, peu après, tout  a basculé. Une cargaison de drogue escortée par le Gatia a été saisie par des jeunes membres de la CMA dans la zone de Tin-Essako, menant à des représailles dans la capitale du Nord.

Le 22 juillet, des tirs nourris brisaient de nouveau la  tranquillité du désert. Le conflit intercommunautaire repartait  de plus belle. Après trois affrontements fratricides, les  belligérants et le gouvernement se sont à nouveau retrouvés à la table des négociations afin de relancer la mise en oeuvre de l’Accord d’Alger.

Le 14 octobre, les listes de la CMA pour  les autorités intérimaires, chargées d’assurer la gestion transitoire  en attendant un retour de l’administration malienne,  étaient validées par décret en conseil des ministres. Un pas en avant dans le processus de paix mais aussi dans l’exacerbation des divisions au sein de la CMA, certains petits mouvements se sentant exclus du partage du pouvoir. La mise en place des autorités intérimaires a été fixée au 15 novembre dernier, cinq jours avant les élections communales.  

Les patrouilles mixtes, réunissant des combattants des  trois parties – CMA, Plateforme et armée malienne – ont  commencé timidement à Gao et à Kidal, où la force française Barkhane a remplacé au pied levé les combattants de la Plateforme et les troupes de l’armée malienne. Quelque  200 combattants de la CMA devaient rallier Gao pour y être  « pré-cantonnés » et formés. Mais, fin novembre, coup de  théâtre : l’application de ces dispositions est reportée une énième fois. Dans cette zone aux allures de Far West, où  se croisent les influences des uns et les intérêts des autres,  élaborer une sortie de crise demeure particulièrement  complexe.