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Un été haut en couleurs

Par Cbeyala - Publié en février 2011
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L’HISTOIRE NE JETTE JAMAIS l’ancre… Tout au contraire. Cet été, nous paradions au soleil et elle continuait sa marche, imperturbable. Il y eut le préfet Paul Girod de Langlade, un si malpoli qu’il remua et souleva des poussières de foudre sur sa tête. Il dit qu’il y avait trop de Nègres à l’aéroport. Que, bon Dieu de mauvais sang, on se croirait en Afrique. De colère, des gens tapèrent des pieds. Ils bastonnèrent leurs langues tant que Brice Hortefeux, ministre très français de l’Intérieur, l’a « mis à la retraite d'office ».

D’aussi loin que ma mémoire s’en souvienne, c’était une première en France. Jusqu’alors, nos hauts fonctionnaires – payés, il faut se le dire, avec nos impôts – pouvaient sans risque briser leurs bouches sales sur le dos des Nègres, promener leur salive de crapaud sur les Arabes. Il y avait, bien sûr, quelques protestations et levées de boucliers. Mais ces manifestations n’allaient pas plus loin qu’un pet de cafard. Les écorcheurs du politiquement correct et les terroristes anti-France multiraciale continuaient à se faire payer par le contribuable, sans déranger trois chats. Et moi, votre toute dévouée, pour la première fois, j’entourai ma voûte palatale de miel. J’étais si heureuse que la moindre particule de mon être scintillait de plaisir. Cette joie, je l’avoue, faillit être menacée par quelque chose qui fracassa ma logique.

Brice Hortefeux, à qui je venais d’attribuer le titre de ministre de la Défense de la dignité nègre, était à son tour attaqué pour racisme. Paraîtrait qu’il aurait dit qu’un Arabe, ça passait... Que le problème, c’était lorsqu’il y en avait trop. Les gens de l’opposition socialiste crièrent au scandale ! À l’assassinat aux bonnes moeurs ! À l’attentat ! Au meurtre ! À bas Hitler ! Je n’en revenais pas de cette contradiction, comment Dieu pouvait attribuer à une même personne de magnifiques qualités et de sordides paroles ? Même le préfet Langlade « retraité d'office » déclara méthodiquement dans la presse que Brice Hortefeux devrait « s’auto-démissionner ». Quelque chose clochait. Azouz Begag, mon confrère écrivain et ex-ministre, s’en venait pleurnicher, lui aussi, à la télévision. Il dit que Brice Hortefeux souffrait d’un racisme congénital.

Qu’à chaque conseil de ministres, il passait son pouce sous sa gorge, menaçant par ce geste de l’égorger, lui, Azouz, sans anesthésie. Qu’il en était encore traumatisé, Azouz. Le jeune Arabe que Brice Hortefeux était censé avoir blessé avec ses déclarations « racialistes », éparpillait çà et là ses démentis. Il dit que ce n’était qu’une blague entre copains. Que c’était des propos à la bonne franquette.

Quelque chose clochait. Des questions embarrassantes tourbillonnaient dans ma pauvre cervelle. Pourquoi notre écrivain n’avait-il rien dit pendant ces longs mois durant lesquels il aurait subi un tel martyr ? Avait-il eu peur de perdre son poste avec appartement de fonction et tout et tout ? Je décidai de fermer ma grande bouche, pour une fois. La vieillesse ? La maturité, diraient mes amis. Qu’importe ! Beau dire, beau faire, la situation sociale des minorités visibles s’est nettement améliorée en France.

Cette évolution ne s’était pas faite spontanément. Il nous avait fallu manifester. Gueuler et manifester.

Aujourd’hui, quelques Noirs, quelques Arabes occupent des postes de responsabilité et je m’en réjouis. Mais force est de constater qu’ils en oublient l’histoire, tant et si bien que, lorsque vous leur demandez : « Mon frère, pourrais-tu rendre service à untel de nos frères en difficulté ? » Ils vous regardent comme si vous aviez fumé de la queue de cochon grillée et vous rétorquent systématiquement : « Non, je ne peux pas. » Puis, ils concluent par voie de presse : « Je ne dois pas ma position à la cooptation ciblée. Je ne représente pas les minorités, moi ! » Il en est ainsi de la solidarité chez nos minoritaires.

Chronique [ POING FINAL ! ] de Calixthe Beyala parue dans le numéro 289 (octobre 2009) d'Afrique magazine.