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Un festival qui dirait l’Afrique...

Par Michel.LeBris - Publié en août 2012
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Chaque jour, nous suivons, le cœur navré, le drame qui se joue au MALI, guettons des nouvelles de nos amis. Ces villes aux mains des islamistes ne sont pas que des noms sur une carte, mais des visages, des histoires vécues en commun, des projets, des bibliothèques que nous avions réussi à fournir en livres. Ce lien avec Bamako, depuis 2001, aura profondément marqué Étonnants Voyageurs, l’aura enrichi, transformé. C’est sous le manguier de l’hôtel Colibri qu’avec Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi nous avions esquissé ce qui allait devenir le « Manifeste pour une littérature-monde en français », pour affirmer l’urgence d’une autre vision de la Francophonie, où la France cesserait de se percevoir en position dominante, dernier avatar de l’idéologie coloniale, mais se penserait elle aussi partie d’un vaste ensemble, dans des rapports d’échanges, sur un pied d’égalité. Ce n’est rien de dire qu’elle a une difficulté extrême à penser son histoire coloniale! Mais l’Afrique pareillement. L’une comme l’autre en ont été marquées profondément – et transformées.

J’avais engagé un combat, dès la création du festival à Saint-Malo en 1990, pour arracher la littérature française à son nombrilisme, à son incapacité à dire le monde. Des débats très vifs de la première édition à Bamako, où se marquait un clivage, net, de génération, je comprenais ceci : que là était le levier. Que là étaient les auteurs qui portaient cette exigence d’une « littérature-monde » seule capable de secouer la belle endormie qu’était la littérature « française ». Là, et dans les Caraïbes, où nous allions créer un autre festival qui, lui aussi, allait donner à notre aventure collective une force nouvelle. Bamako aura été le lieu d’affirmation d’une génération d’écrivains, Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Fatou Diome, Léonora Miano, Florent Couao-Zotti, Sami Tchak, tant d’autres encore...

Nés après l’indépendance, tous ont grandi dans le cauchemar des génocides, sous le joug parfois des dictatures, dans la quotidienneté de la corruption, contraints souvent à l’exil. Le génocide de 1994 au Rwanda aura été un tournant : la fin de l’innocence, quand l’Afrique découvrait sa capacité à s’autodétruire. Le roman de l’exil, de l’immigration, du télescopage culturel, de la « frontière », comme dit Léonora Miano, n’est pas, ainsi que le voudraient certains, à opposer aux romans de ceux demeurés au pays, garants d’une quelconque « authenticité ». Cette opposition est absurde, et suicidaire, la dispersion identitaire est le fruit – un des fruits – de la tragédie historique des dernières décennies. Le nouvel espace romanesque africain n’est plus, sur place, celui du village et du ressassement du discours anticolonialiste, mais celui de la ville, monstrueuse, hybride, tentaculaire, où s’expérimentent, mais d’une autre manière, métissage et multiculturalisme, se met en place un univers créole, soubassement de ce qu’Achille Mbembe a appelé une modernité « afropolitaine ». La ville, où s’invente, au-delà du roman, une culture de la rue, rap, slam, hip-hop, par laquelle la jeunesse exprime sa révolte et ses espoirs, invente une parole neuve...

Signe de reconnaissance, Étonnants Voyageurs est entré cette année dans une « Word Alliance » regroupant les huit plus grands festivals littéraires du monde : Édimbourg, Berlin, Jaipur, Pékin, Melbourne, Toronto et New York. Nous sommes invités en Afrique du Sud en septembre à imaginer deux journées de programmation du festival Open Book du Cap, avec une douzaine d’auteurs de langue française, et nous y répondons avec enthousiasme tant nous paraît nécessaire de multiplier les ponts entre littératures africaines anglophones, lusophones, francophones. D’autant qu’avec Alain Mabanckou nous anime un autre projet : de monter, dès l’année prochaine, un festival qui dirait l’Afrique, dans la diversité de ses aspects, en train de faire irruption sur la scène du monde, capable d’inviter au dialogue le monde entier. Incurable optimiste, quelque chose me dit que nous y parviendrons.

Par Michel LE BRIS Écrivain, romancier, philosophe, éditeur et directeur du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, invité à l’Open Book du Cap les 22 et 23 septembre prochain.