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Un moment d’English bashing

Par zlimam - Publié en décembre 2014
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DE RETOUR D’UN VOYAGE À LONDRES, capitale du Royaume-Uni. Valérie Trierweiler fait la une de grands journaux de la place. Chacun y va de son analyse, étalant au passage un nombre assez incroyable de clichés sur ces sacrés Français, paresseux, rigolards et jouisseurs. Ici, le French bashing est une pratique culturelle nationale, en particulier du côté des conservateurs, qui détestent tout ce que le modèle français implique : colbertisme, égalitarisme, fiscalité… On raille les Gaulois, on se moque de leurs performances économiques et on glose sur leur déclin.

Du côté de la perfide Albion, les choses semblent apparemment plus encourageantes. Londres s’impose comme une cité globale. Une des capitales de la mondialisation, en rivalité avec New York. Vingt pour cent des actifs mondiaux seraient gérés depuis les bords de la Tamise. Londres est à la mode, s’imposant comme le cœur de l’espoir, de la création et de la libre entreprise dans une Europe sclérosée et en crise. L’économie britannique aligne un taux de croissance aux alentours de 3 %, l’une des meilleures performances du monde occidental. Le taux de chômage reste maîtrisé à près de   6 %.

All right ! Mais Londres ne fait pas un royaume, et le miracle anglais semble bien fragile. Le déficit budgétaire plane au-dessus des 5 % (plus que la France). Les emplois précaires (dont le fameux contrat zéro heures) sont devenus la norme. Le made in England souffre. Le déficit de la balance commerciale atteint les 110 milliards d’euros (presque deux fois celui de la France). Ce modèle inscrit en lui de vertigineuses inégalités sociales. On estime que 16 % des sujets de Sa Majesté vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le tout dans un pays ou le financement public de l’éducation et de la santé est minimal.

Ce pays, qui fut un empire militaire et commercial sur lequel le soleil ne se couchait jamais, a par ailleurs renoncé à toute ambition géostratégique. Le Royaume-Uni ne pèse plus sur les affaires du monde. Il a perdu, au contraire de la France, son lien privilégié avec ses anciennes colonies (c’est-à-dire tous les pays du Commonwealth, dont des géants comme l’Inde ou le Nigeria). L’alignement systématique avec les États-Unis a démonétisé la position anglaise, d’autant plus que Washington, le regard tourné vers la Chine ou la Russie, s’intéresse peu à son cousin d’outre-Atlantique.

Sous pression d’une opinion populaire recroquevillée, effarée par l’émigration, le leadership britannique en arrive à remettre en question l’adhésion du pays à l’Union européenne. Tout ce qui a trait à des cessions de souveraineté ou à la régulation du marché est anathème. Et au fond, il s’agit de lutter contre un modèle social-démocrate qui a plus ou moins conquis tout le continent.

Encore une fois, la réalité impose ses contraintes. L’Allemagne et la France tirent leur force relative de l’Europe et de sa profondeur stratégique. Pour exister, demeurer la grande place de la mondialisation, Londres a besoin de Bruxelles et du marché unique. Le Royaume-Uni a besoin de l’Union au moment ou les fondements de la nation sont menacés par les volontés séparatistes de l’Écosse et, qui sait, demain du pays de Galles et de l’Angleterre elle-même… Le Royaume-Uni a besoin d’Europe pour ne pas se retrouver telle une île au milieu de l’océan peuplée de citoyens figés dans leurs certitudes. Et l’Europe a aussi besoin d’un Royaume-Uni en confiance qui apporte sa langue, sa capacité d’entreprendre, son business feeling. Son sens de l’humour et de la dérision aussi.