Une déconfiture française
Un ancien ministre camerounais, un brin réac, me disait il y a quelques années: «Le modèle français s’est arrêté après Jacques Chirac. Les présidents qui lui ont succédé ont gâché l’image du pays. L’un pas marié qui va voir nuitamment sa maîtresse en scooter, un autre qui fait un bébé à l’Élysée…» (Ce dernier, d’ailleurs, ayant été carrément condamné récemment à la prison pour «association de malfaiteurs»…)
Au-delà de la «morale» de ceux qui le dirigent, force est de reconnaître que l’Hexagone traverse une sale période. Un ami tchadien, pourtant observateur madré de la vie politique française, me confiait il y a quelques jours son désarroi: «Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez vous? Vous allez où, là? On ne comprend plus rien…»
Alors, juste pour lui répondre : la situation est malheureusement assez simple. Nous avons un président, élu pour cinq ans jusqu’en 2027, dont le parti et ses affiliés n’ont pas la majorité absolue à l’Assemblée. Ni aucune autre formation politique, d’ailleurs. Et bien sûr, aucun ne s’entend. À part les deux extrêmes, totalement opposés sur le papier, mais qui signent de concert (et donc avec une majorité) les arrêts de mort de tous les Premiers ministres nommés par Emmanuel Macron.
Résultat: le pays est totalement ingouvernable. Les réformes, les budgets successifs, les lois sont pratiquement gelés. Et contrairement au souhait des ténors politiques, qui se chauffent les muscles pour la course au scrutin de 2027, le président en exercice ne semble pas disposé à dissoudre à nouveau l’Assemblée, et encore moins à démissionner avant la fin de son mandat. Une fois ce cadre posé, il faut ajouter un ras-le-bol généralisé des Français, qui ne s’en sortent plus devant l’augmentation galopante du coût de la vie, de l’énergie, de l’alimentation, de l’essence. Ils réclament des augmentations de salaire à tous crins, militent pour que les super-riches soient davantage taxés, exigent l’abrogation de la loi sur les retraites qui leur demande de travailler plus longtemps, etc.
Et ils descendent en colère dans la rue à répétition (les fameuses grèves récurrentes de la rentrée de septembre en France), aiguillonnés par les partis politiques d’opposition. Des manifestations et des grèves agrémentées cette année du retour du phénomène «gilets jaunes» et du vieux slogan (hyper constructif…): «Bloquons tout.»
Bref, la France traverse une période de joyeux chaos, de haut en bas et de bas en haut. On peut ajouter que les conflits Israël-Palestine et Ukraine-Russie, sans fin, contribuent à l’ambiance à la fois tendue et morose qui règne dans l’Hexagone, ainsi que le retour de l’électron libre Trump à la tête de la plus grande puissance du monde, qui attaque tous les dossiers étrangers comme un bulldozer sans pilote, outrepassant allègrement les lois de son propre pays, faisant la nique à l’Europe, au changement climatique, et bien sûr à l’Afrique. Qu’il avait quand même qualifiée de «pays de m…» lors de son premier mandat.
Pourtant, à part quelques « anciens » africains qui s’en émeuvent, ou tout au moins s’y intéressent, le chaos français ne tracasse en aucun cas les nouvelles générations du continent. Ce qui est plutôt normal. Elles ont déjà montré leur «désamour» pour la France, en manifestant un peu partout pour qu’elle quitte leur territoire, et l’esprit «AES» est pour le moment assez partagé. L’Afrique aux Africains est leur credo, légitime. Et même si le pari n’est pas encore gagné, la déconfiture politique française va dans leur sens. Dans un tel contexte, le continent noir est loin d’être au centre des débats. Sauf sur deux thèmes, classiques en temps de crise: l’immigration à juguler et l’aide au développement à réduire. Deux sujets brandis par l’extrême droite, qui voit là des solutions miracle au malaise français.
Et comme l’historique terre des droits de l’homme a des chances de basculer justement à l’extrême droite en 2027, l’autonomisation du continent pourrait bien être grandement favorisée. Quand le malheur des uns fait (peut-être) le bonheur des autres…