À Venise,
L'Afrique pour rebâtir le monde
Tournée vers un futur durable et décolonisé, la Biennale d'architecture exhorte à changer de perspective.
Le 18 mai dernier, c’est sous un ciel changeant que Venise a accueilli sa Biennale d’architecture, rendez-vous incontournable pour tous ceux qui s’interrogent sur l’évolution et l’impact de cet art. Intitulée «Le Laboratoire du futur», cette 18e édition est particulière, puisque, pour la première fois depuis sa création en 1980, les projecteurs sont braqués sur les pratiques des professionnels issus du continent et de ses diasporas: près des trois quarts des 89 participants, sélectionnés par la première commissaire noire Lesley Lokko, sont ainsi d’origine africaine. Parmi eux, on trouve les bâtisseurs, comme David Adjaye, Francis Kéré, Koffi et Diabaté, ou encore Mariam Kamara, mais aussi des noms méconnus, repérés autour du globe par l’équipe de la commissaire ghanéenne et écossaise. Être à Venise, avec ses ponts, ses ruelles denses d’histoire et sa lagune, est pour beaucoup un rêve devenu réalité. Fiers et reconnaissants de l’invitation, ils échangent de manière enthousiaste avec les visiteurs et la souriante et affairée Lesley Lokko. Entre deux rencontres, celle-ci assiste à l’inauguration de la magnifique exposition «Tropical Modernism: Architecture and Power in West Africa», présentée par le Victoria and Albert Museum, ou chaperonne les visites guidées dans les grandioses halles de l’Arsenal et les pavillons des Giardini. Ce sont notamment dans ces deux lieux historiques de la ville que s’articule cette immense expo internationale diffuse, qui brouille les frontières entre art et architecture. C’est le cas pour les pavillons nationaux, comme celui de la Grande-Bretagne, mention spéciale du jury, mais aussi pour les jeunes professionnels invités: en mélangeant matières et technologies (vidéo, dessin, réalité augmentée, etc.), ils présentent leurs réflexions en faveur d’une architecture décarbonisée et décolonisée, qui intègre le contexte historique-social et les besoins des usagers. Certains petits cabinets ont privilégié une approche très conceptuelle, quand ils auraient pu mettre en avant leurs projets déjà sortis du sol, mais l’ensemble des participants a globalement su articuler une proposition différente. Des voix jusque-là considérées comme marginales ont désormais toute leur place sur la scène vénitienne. Même s’il les découvre à peine, le milieu très occidentalisé de l’architecture est enfin prêt à les entendre. C’est le cas pour le Nigérian Demas Nwoko, 88 ans, venu retirer un Lion d’or récompensant sa carrière et accueilli par des cris et des applaudissements émus. Ce prix et la petite exposition qui lui a été dédiée au cœur des Giardini visent à mieux faire connaître ce précurseur de l’architecture africaine durable, ancrée dans les traditions locales dès les années 1970. Tout comme les travaux des grands bâtisseurs dans la section «Force majeure» démontrent que d’autres modèles que celui du «starchitecte» fonctionnent… Relançant ainsi l’idée d’un art plus collectif, résolument tourné vers le futur, et au service des personnes et de la planète.