Wale Edun
«Parier sur l’avenir, protéger les plus fragiles»
Ministre des Finances et ministre coordinateur de l’Économie
Depuis mai 2023 et le début de la présidence Tinubu, le pays est engagé dans un ambitieux et difficile programme de reconstruction économique. Un effort salutaire à moyen terme, mais qui implique des coûts sociaux à court terme. Explications.
AM: Depuis votre arrivée il y a un an et demi, comment se porte l’économie du pays?
Wale Edun: Depuis ces treize derniers mois, nous sommes sur la voie de la stabilité macroéconomique, de la reprise, de l’augmentation des investissements et de la productivité, de la croissance, de la création d’emplois et de la réduction de la pauvreté. Le 29 mai 2023, lorsque le président Bola Tinubu est arrivé au pouvoir, le pays était en très mauvaise santé sur le plan économique, et plus particulièrement en matière de finances publiques. Comme il l’avait promis, il a immédiatement commencé à réformer l’économie. Les subventions pétrolières, qui coûtaient 2% du PIB, soit environ 8 milliards de dollars par an, ont notamment été supprimées.
En plus de suspendre les subventions du carburant, vous avez dévalué le naira. Ces réformes ont déclenché d’importantes émeutes sociales.
En effet, la réforme macroéconomique ne s’est pas arrêtée à la suspension des subventions du carburant. Il y en avait une autre, qui coûtait encore 2 à 3% du PIB: celle des devises, qui étaient vendues en dessous du prix du marché. Nous avons donc procédé à sa fixation pour le pétrole, l’essence, le carburant, ainsi que pour les devises. Sur cette base, l’économie a une chance de se redresser, ainsi que les finances du gouvernement, comme celles de la compagnie pétrolière nationale. C’est le cœur des réformes. Et, bien sûr, nous assistions à une sous-évaluation des principaux actifs, qui profitaient à quelques personnes impliquées dans le régime des subventions et le régime d’allocation des devises étrangères. Les étrangers, pour leur part, bénéficiaient de la contrebande d’essence par la frontière. L’abandon de ce système a naturellement entraîné une hausse du niveau des prix, puisqu’il n’y avait plus de sous-évaluation de ces ressources clés: l’essence, les produits pétroliers et les devises. Forcément, lorsque l’on passe d’un tel système à un autre qui, à long terme, sera plus bénéfique, il faut faire face à la douleur. C’est ce qu’il se passe chez nous, et c’est normal.
Quelles mesures d’accompagnement concrètes avez-vous prévues à court et à moyen termes pour soulager la population d’une augmentation vertigineuse du coût de la vie?
Le président Bola Tinubu s’est toujours engagé à ce que les plus pauvres et les plus vulnérables soient protégés autant que possible des pires effets de l’augmentation du coût de la vie à la suite de ces mesures audacieuses. Des aides ont ainsi été mises en place, de même que des interventions, initialement pour les agriculteurs, les petits exploitants, afin d’obtenir des engrais, des semences, d’autres intrants et des céréales. Nous avons procédé à une véritable libération des réserves de denrées alimentaires sur le marché. En outre, des surfaces supplémentaires ont été mises en culture afin que la nourriture soit abondante, disponible et abordable, et que la production augmente.
Ainsi, nous contribuons à réduire les prix et le coût de la vie pour le Nigérian moyen. Des paiements directs ont aussi été planifiés en collaboration avec la Banque mondiale, à l’instar des mesures mises en œuvre lors du Covid, où l’on apporte un soutien ponctuel d’urgence aux populations. Une initiative a été mise en place pour fournir à 15 millions de ménages, soit environ 75 millions de Nigérians au total, trois paiements directs sur leur compte, ce qui leur permettra de faire face aux priorités. Cette initiative est en cours. Parfois, même lorsque nous disposons d’une bonne mesure, sa mise en œuvre peut s’avérer complexe. En raison de la transparence, de l’intégrité et de la responsabilité requises pour de tels paiements, un système a dû être mis en place pour que les personnes inscrites au registre social, à savoir les 15 millions de ménages qui ont été choisis parmi les 60% les plus pauvres de la population remplissant les conditions requises, soient identifiables de manière unique et biométrique, afin d’être payées par le biais d’un mécanisme numérique. Il ne s’agit pas de distribuer de l’argent liquide. Ce processus a pris du temps en matière de recensement et de vérification, mais il est important de le maîtriser pour pouvoir atteindre, de manière ciblée, les plus pauvres et les plus vulnérables. De même, des subventions pour aider les plus petites microentreprises et des prêts à des conditions préférentielles– à la moitié, voire au tiers du coût du taux d’intérêt normal– sont disponibles. Ainsi, à une époque où les autorités monétaires, sous la houlette de la Banque centrale, luttent contre l’inflation en augmentant les taux d’intérêt, il existe des prêts à taux abordables pour soutenir les entreprises, le secteur manufacturier et le secteur productif.
L’ambition affichée est de transformer le Nigeria. Combien de temps cela prendra-t-il, à votre avis?
Nous avons entrepris des réformes dès le premier jour où le président Bola Tinubu est arrivé au pouvoir, et les bénéfices commencent déjà à se faire sentir. Il y a des réussites, il y a des améliorations. Le taux de croissance du PIB s’est redressé, la balance commerciale est forte, l’équilibre des comptes courants est excédentaire et en croissance. L’inflation est en train d’être maîtrisée. Elle a légèrement augmenté en raison de l’ajustement récent du prix des carburants, afin de le baser sur le marché, de sorte que tant pour les devises que pour l’essence, nous ayons un prix déterminé par le marché et non un prix administratif ou subventionné. Le déficit budgétaire, qui est passé d’environ 6,1% du PIB à environ 4,4% du PIB, affiche également des progrès. De même, le service de la dette, c’est-à-dire la part des recettes publiques consacrée aux emprunts, est passé de 90% ou 100%desrecettes à un peu plus de 60% des recettes. C’est encore élevé, mais c’est beaucoup mieux. Ce sont ces types d’améliorations qui ont favorisé le régime d’investissement dans le secteur du pétrole et du gaz. Les régimes fiscaux ont également été améliorés. Nous avons supprimé les retenues à la source pour le secteur manufacturier et l’avons encouragé par des incitations fiscales à employer davantage de personnel. En conséquence, nous assistons à des investissements majeurs dans le secteur pétrolier de la part d’entreprises telles que TotalEnergies (6 milliards de dollars sur plusieurs années), ou encore, début octobre dernier, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, ExxonMobil avec 10 milliards de dollars. Et il y en aura d’autres. Certains fabricants nationaux sont restés en retrait, mais ils voient aujourd’hui un régime orienté vers le marché, où l’économie se stabilise et devient plus attrayante. Résultat, même les investisseurs nigérians sont intéressés. J’ai récemment discuté avec un homme d’affaires qui m’a dit qu’il était resté en retrait, mais qu’il était désormais prêt à investir 1,2 milliard de dollars dans le secteur productif, à partir de matières premières qu’il extrait pour fabriquer des produits industriels, des intrants pour d’autres entreprises manufacturières. Il est maintenant décidé à aller de l’avant. Il a étudié les mesures d’incitation disponibles et a indiqué celles dont il aimerait profiter, comme le financement à taux d’intérêt préférentiel. Nous pensons qu’il s’agira d’une histoire commune. Ceux qui se sont retenus jusqu’à présent regardent ainsi le nouveau climat d’investissement et ne veulent pas rester à la traîne.
Vous déclarez régulièrement miser sur les investissements plutôt que sur les emprunts. Pourtant, vous continuez à emprunter. En attendant?
Nous avons dû emprunter des financements concessionnels bon marché auprès de banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Nous avons également pu lever des fonds auprès des Nigérians, notamment ceux qui ont des économies à l’étranger, en émettant pour la première fois des obligations en dollars– ce qui est historique–, mais en utilisant le système de réglementation financière nigérian. Cependant, il faut emprunter parce que c’est nécessaire. L’objectif consiste à attirer les investissements étrangers directs et nationaux, les capitaux propres et même publics, provenant des impôts et de l’augmentation des recettes de la production pétrolière. En effet, les incitations à la production dans le secteur pétrolier ont été améliorées, d’une part. Et le moyen le plus rapide pour le Nigeria d’obtenir des devises et de disposer de liquidités dans l’économie, à la fois en devises et en nairas, provenant des recettes publiques, est bien sûr d’augmenter la production pétrolière, d’autre part. Mais pour cela, il faut des investissements et de la sécurité. Nous disposons aujourd’hui d’un environnement beaucoup plus sûr, parce que c’est une priorité pour le président Tinubu. Cela a permis à un plus grand nombre de personnes de retourner dans leur ferme pour pratiquer l’agriculture ou d’autres activités, telles que l’élevage, la pêche, etc. Mais c’est également positif pour le secteur pétrolier, car l’amélioration de la sécurité dans ce domaine est essentielle, tout comme le renforcement de la surveillance et la réduction des vols et autres pertes.
Depuis quelque temps, la production pétrolière du Nigeria baissait d’année en année. Elle semble avoir remonté récemment.
Lorsque le chef de l’État a pris ses fonctions, la production était d’environ 1,2 million de barils par jour. Elle est passée à environ 1,6 million de barils par jour. Les forces de sécurité et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) se sont engagées à atteindre 2 millions de barils par jour, en profitant des prix relativement élevés du pétrole et des ressources en combustibles fossiles dont dispose le pays. Par ailleurs, nous avons signé plusieurs protocoles en faveur de l’énergie propre, de l’objectif «net zéro» et de l’action climatique– mais, en même temps, il convient d’être réalistes. Nous devons utiliser les combustibles fossiles dont nous disposons pour nous industrialiser, pour moderniser notre économie et pour sortir notre population de la pauvreté. Pour nous, le secteur du pétrole et du gaz est une évidence. Et pour la première fois depuis quarante ans, nous raffinons le brut sur place, produisant non seulement du PMS [Premium Motor Spirit, essence produite par la raffinerie Dangote, ndlr], du diesel et du Jet-A1, mais aussi des intrants, des matières premières pour le secteur agricole, des engrais, des matières premières pour le textile, pour les industries du bâtiment, chimique et pharmaceutique. On assiste donc à une renaissance, à une relance de la tentative d’industrialisation du Nigeria, de la modernisation de l’économie basée sur les investissements du secteur privé.
En dehors du pétrole, vous cherchez à diversifier votre économie. Quels secteurs voulez-vous promouvoir? Vous parlez d’abord de l’agriculture, mais pas seulement?
L’agriculture ne produit pas seulement des denrées alimentaires, mais aussi des matériaux comme l’éthanol, l’amidon et bien d’autres intrants qui peuvent servir de base à un boom du secteur. C’est pourquoi nous créons des zones agro-industrielles dans tout le pays. Les produits de l’arrière-pays sont désormais acheminés vers un centre où se trouvent des entrepôts, des usines et des équipements de transformation, de fabrication, de finition, de congélation, d’emballage, etc. On transforme ainsi les matières premières en produits finis dans un périmètre plus proche. Les différentes demandes pour ces produits sont traitées là où se trouvent les agriculteurs. Ensuite, nous misons bien sûr sur l’industrie manufacturière. Sur le marché régional, et même national, il y a une forte croissance des produits manufacturés de base, des produits ménagers et des biens de consommation destinés à l’exportation locale, et même sur l’ensemble du continent. Une population de 1,3 milliard d’habitants à l’échelle de l’Afrique, une population régionale d’environ 300 millions d’habitants… Voilà des marchés attrayants pour les producteurs nigérians et les exportateurs. En outre, nous nous intéressons au secteur du logement. Les Nigérians disposent d’une épargne à long terme, de pensions, de fonds d’assurance-vie. En utilisant ces fonds combinés à un financement concessionnel de 1% sur quarante ans de la Banque mondiale, nous pouvons offrir un taux d’intérêt relativement bas que les gens peuvent supporter, et ensuite, bien sûr, en plaçant l’argent à long terme, ils peuvent obtenir des prêts hypothécaires sur vingt ou vingt-cinq ans. Cela donnera un coup de pouce aux classes moyennes, qui ont souvent assez d’argent pour l’apport, mais qui ne peuvent pas payer des taux d’intérêt de 30% ni rembourser un prêt en trois ans. Cela devrait déclencher une hausse de la construction. Enfin, nous disposons d’un énorme dividende démographique, avec environ 600000 diplômés par an, issus de différentes universités, publiques et privées. Ils ont des compétences de base et peuvent fournir des services d’externalisation par Internet. Dans les pays où l’externalisation est la plus importante, la croissance démographique tend à ralentir, de sorte que ceux-ci risquent de manquer de main-d’œuvre qualifiée, ce dont le Nigeria dispose en abondance. L’exportation de services est donc un autre domaine très fertile dont le pays peut tirer parti. Et, bien évidemment, nous avons amélioré notre environnement fiscal de sorte que les entreprises étrangères puissent se procurer directement les services des Nigérians sur Internet, et ce sans avoir à payer une taxe onéreuse. Auparavant, pour employer des Nigérians, il fallait être au Nigeria. Aujourd’hui, nous disons: «Restez dans votre pays, employez des Nigérians, ils paient leurs impôts, c’est très bien.»
Quels sont les principaux partenaires financiers du Nigeria aujourd’hui?
Parce que nous sommes obligés d’emprunter, nous nous tournons vers les financements à conditions préférentielles. La Banque mondiale est un véritable partenaire, de même que la Banque africaine de développement et l’Agence française de développement. Elles ne cherchent pas seulement à financer des projets, mais aussi à soutenir le budget et les réformes macroéconomiques du gouvernement. Nous sommes reconnaissants envers ces partenaires et nous avons, bien sûr, compté sur les Nigérians pour nous aider à financer nos sorties sur le marché. Lorsque nous approchons ce marché, nous le faisons de sorte que la population puisse nous soutenir, celle du Nigeria et celle de la diaspora, qui possède des dollars ou qui conserve ses économies en devises étrangères, probablement en raison du manque de force de la monnaie nationale en tant que réserve de valeur. Et puis, évidemment, nous avons accès aux marchés des euro-obligations et nous n’imprimons plus d’argent pour payer les factures. Ce n’est pas facile, mais nous respectons tous nos devoirs en matière de service de la dette internationale et de la dette intérieure.
Vous semblez très confiant en l’avenir.
Oui, jusqu’à présent.