Waw Muzik
bouscule le streaming musical
Lancée à Abidjan par le Français Jean-Philippe Audoli, violoniste de renommée mondiale, Waw Muzik propose à ses abonnés de la musique en illimité avec de «l’Internet gratuit». Une révolution dans le monde des plates-formes, qui n’a pas fini de faire parler d’elle.
«C’est moins cher que le piratage», énonce fièrement Jean-Philippe Audoli, fondateur de l’application Waw Muzik, qui est en train de bouleverser l’écoute de la musique en streaming sur le continent. L’idée lui est venue lors d’un rare moment d’oisiveté, alors qu’il lézardait sur une plage bretonne. Violoniste depuis l’âge de 4 ans, l’homme, à la tête du Quatuor Ludwig pendant vingt-cinq ans, toujours directeur du festival de musique classique Les Nuits du château de la Moutte, près de Saint-Tropez, en France, est un concertiste reconnu. Avec 30 albums, trois grands prix internationaux et une récompense au Midem à son actif, il a fait plusieurs fois le tour du monde avec sa formation. Aussi, il s’est produit pendant vingt ans sur les scènes d’une quarantaine de pays africains, où «l’incroyable savoir-faire et le talent» des artistes l’ont frappé. Déjà une forme d’engagement envers le continent, dont il pressent très tôt le potentiel d’avenir. Sur cette plage bretonne, un constat, aussi drastique que dramatique, frappe le musicien: alors que 90% des musiques populaires dans le monde ont une origine ou une influence africaine, seulement 0,6% des revenus de l’économie musicale, dont le montant s’élevait en 2022 à 26 milliards de dollars au niveau mondial, sont générés sur le continent. «Chaque fois que la culture africaine en rencontre une autre, cela crée du génie, et les Africains n’en profitent pas», dit-il.
Une donnée radicale et choquante pour l’artiste, qui l’amène à poser les termes d’une équation apparemment insoluble autour d’une problématique plus simple à énoncer qu’à résoudre: trouver un nouveau modèle pour l’économie musicale sur le continent, qui ne soit pas basé sur la publicité (presque inexistante en Afrique) et qui permettrait à chaque acteur de mieux s’en sortir, c’est-àdire aux musiciens d’être mieux rémunérés, aux consommateurs d’écouter de la musique sans encombre, et aux majors (Universal, Sony, Warner, etc.) de ne pas perdre leurs plumes. L’étrange idée de vouloir créer «des convergences d’intérêts quand ceux-ci sont éloignés les uns des autres» le stimule d’autant plus qu’elle semble impossible.
La réponse apparaît aussi simple à exprimer que complexe à mettre en œuvre: «en supprimant la barrière de l’accès à Internet», qui, sur le continent, est particulièrement cher pour les usagers. «Comment accepter que l’Afrique, qui fait danser et chanter toute la planète, ne permette pas à sa population d’écouter sa propre musique parce qu’Internet coûte trop cher?» En effet, avec 100 francs CFA, on ne peut pas écouter plus de deux ou trois morceaux de musique – sans parler du coût de l’abonnement sur les plates-formes!
L’idée lancée, Jean-Philippe Audoli choisit la Côte d’Ivoire, qu’il considère comme le hub culturel et économique de la sous-région. «De plus, avec 62 ethnies, l’interculturalité y est déjà efficiente.» Il crée sa société en 2017, et l’application est opérationnelle et lancée en novembre 2021. Quatre ans, bâton de pèlerin en main, pour convaincre tous les acteurs, en particulier un gros opérateur sur Internet indispensable à la réalisation du projet. C’est sur Orange qu’il jette son dévolu et à qui il formule une proposition, que l’entreprise française,premier opérateur de téléphonie et d’Internet en Côte d’Ivoire, ne peut refuser: «Vous me donnez Internet, je vous apporte la jeunesse.»
Voici comment, dans Waw Muzik, Internet est gratuit. Autrement dit, l’application permet d’écouter de la musique en illimité, sans publicité et sans consommer le pass Internet de l’abonné.
SUCCESS STORY
Le succès est immédiat. Car cela change tout. La modique somme payée pour s’abonner à la plate-forme (100 francs CFA pour la journée, 200 FCFA pour trois jours, 700 FCFA pour une semaine ou 1400 FCFA pour le mois) n’est pas entamée par l’accès à Internet. Les abonnés peuvent écouter de la musique sans contrainte pour un coût inférieur à celui du piratage (même pour pirater, on utilise Internet!), moins cher également que YouTube, une plate-forme pourtant gratuite, et également moins onéreux que celui de toutes les platesformes payantes existantes. Cela fait dire au fondateur de l’application, dans un sourire, qu’il a inventé pour le consommateur le «moins cher que gratuit!», tout en assurant une meilleure répartition des revenus pour les acteurs de l’industrie musicale: «Waw Muzik est la plate-forme qui rémunère le mieux, et de loin, les artistes. Nous les payons six fois plus que nos concurrents (à savoir Spotify ou Deezer), alors que leur modèle s’appuie sur la publicité en plus des abonnements.» 60% des revenus de Waw Muzik sont ainsi redistribués aux ayants droit.
Avec sa plate-forme, Jean-Philippe Audoli entend faire passer un message éminemment politique, qui veut contrecarrer tous les postulats de l’exclusion. «Le métissage et la créolisation, sources de tant de créations de génie, sont une réalité, une évidence et une richesse culturelle. Elles doivent devenir une richesse économique en Afrique.» C’est en homme investi d’une mission qu’il se présente, «pour permettre aux Africains d’écouter leurs propres musiques».
En 18 mois d’existence, l’application rassemble près de 500000 utilisateurs en Côte d’Ivoire, et son chiffre d’affaires est déjà supérieur à celui des plus grandes plates-formes internationales qui, elles, opèrent sur tout le continent. Les abonnements explosent, avec un revenu qui suit la même tendance exponentielle. Pas étonnant que Waw Muzik suscite des convoitises. Des investisseurs américains et africains se sont déjà positionnés.