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XXIe siècle : la grande crise, suite et pas fin…

Par zlimam - Publié en février 2011
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Admettons. Tout cela serait vrai, si la crise n’était qu’un phénomène conjoncturel, quelque chose de relativement anodin à l’échelle de l’histoire du monde. Ce qui n’est pas le cas. La crise de 2008 est une grande crise, systémique, profonde, historique. Ses aspects conjoncturels sont « épiphénomènaux ». Le reste est beaucoup plus important. Le reste, c’est peut-être une déflation interminable aux États-Unis (et en Europe, et au Japon), avec l’éclatement de bulles successives (crédit, assurances, cartes de crédit, entreprises...). Le reste, c’est le nouveau déséquilibre du monde, avec l’affaiblissement de l’Occident, la perte d’influence de l’Amérique et de l’Europe, et l’émergence des émergents, Chine, Inde, Brésil et les autres. Le reste, c’est la crise de la dette qui se profile à plus ou moins long terme. Les pays pauvres sont endettés (ce qui n’est pas bien grave), mais les pays riches, en accumulant les plans de relance, se mettent en situation de quasi faillite, et il en faudrait peu pour créer un mouvement de panique. Le reste, c’est la crise profonde du modèle consumériste (combien peut-on vendre de voitures, de téléphones, de tracteurs, de jets...). Le reste, c’est la crise de l’énergie qui plane sur nos têtes. Avec quelles réserves de pétrole le monde va-t-il tourner dans les décennies à venir ? Comment allons-nous dire aux Chinois, et aux Indiens, et aux Indonésiens, et aux Vietnamiens, qu’ils n’ont qu’à utiliser l’air du temps pour vivre ? Le reste, c’est le réchauffement climatique, la crise écologique majeure qui menace l’ensemble de l’écosystème. Le reste, c’est la faillite probable des États « limites », déjà trop pauvres en période faste et donc beaucoup trop fragiles en périodes d’austérité. Le reste, c’est la crise alimentaire et la bataille pour les terres arables (en 2009, un milliard d’êtres sont sous-alimentés). Le reste, enfin, c’est que la crise économique pourrait déborder sur le politique, que les conflits explosent, que les nationalismes se réveillent, que le Moyen-Orient s’enflamme, que la Chine s’arme, que l’Afrique se désagrège... Le reste, c’est la nécessaire et probablement impossible gouvernance mondiale.
Nous ne vivons pas la fin d’un cycle conjoncturel. Nous vivons la fin d’un monde, celui qui s’est construit au XIXe siècle, autour de la révolution industrielle, des impérialismes et de l’Occident. Quelque chose est en train de naître. Quelque chose est à construire. Nous n’avons ni le chemin ni la carte. Mais notre génération a une responsabilité immense dans la construction d’une nouvelle humanité, différente, et plus solidaire.

Business : l’Afrique a de l’avenir
SOYONS UN PEU OPTIMISTES. J’ai eu la chance de rencontrer récemment un certain nombre d’entrepreneurs africains, originaires des deux côtés du Sahara. J’ai été bluffé par le modernisme, l’ambition, le courage de ces plus ou moins quadra, bien décidés à gagner, à se battre, à participer à la modernisation de leurs pays. Ils sont décomplexés par rapport au monde, ils ne sont pas enfermés dans leur « authenticité culturelle », ils aiment autant Paris, New York, que Dakar ou Tunis. Et ils sont décomplexés par rapport au pouvoir : c’est un bien ou c’est un mal, et il faut faire avec. Ces nouveaux entrepreneurs croient en l’Afrique. Pas de manière un peu béate, style renaissance, mais de manière « business ». Ils pensent que l’entreprise, l’initiative privée, sont au coeur de la problématique africaine. Alors, chers amis, dans quoi faut-il investir ? Les possibilités sont immenses, nous répondent-ils presque en choeur. Un, tout ce qui participe au développement de l’économie formelle, en particulier la banque et l’assurance. Deux, tout ce qui participe de l’agriculture, de l’eau et des terres cultivables. Trois, tout ce qui participe des matières premières stratégiques (pétrole, bien sûr, mais aussi uranium et autres...). Quatre, tout ce qui participe des télécoms, de la téléphonie mobile, de l’Internet, du haut débit. Et cinq, enfin, les médias (écrits, audiovisuels, publicité, Internet...). Ça tombe bien, c’est notre business.

L’adieu à la star : « You Know I’m Bad »...
C’ÉTAIT UN PEU AU MILIEU DE LA NUIT, QUAND LE SMS EST ARRIVÉ. Michael Jackson est mort. À 50 ans. D’une crise cardiaque, semble-t-il. La polémique fait déjà rage sur le rôle de ses médecins, sur ce corps étrangement maltraité, redessiné, décoloré. La planète des hommes vivants s’emballe. Les télévisons, les radios passent en mode 24 h/24. Quelqu’un me raconte que, sur l’Internet, le trafic de Google est ralenti par les millions de connections et que les serveurs de Facebook sont saturés par les centaines de milliers de vidéos déposées sur le site par les adhérents. On parle de son talent, de ses dettes, de ses procès, de ses enfants, de ses mariages, de ses échecs, des concerts du retour, prévus à partir du mois prochain et qui n’auront jamais lieu. On parle des fans qui préfèrent garder les billets, plutôt que de se les faire rembourser. Nous sommes le vendredi 26 juin, et le monde entier pleure Michael Jackson, au destin contrarié, artiste génial, faustien, troublé, déguisé, musicien incontournable et inimitable. Dans le talent, dans l’excès, dans l’autodestruction, il y a quelque chose qui ressemble à Elvis Presley (dont, d’ailleurs, il avait épousé la fille...). Dans sa mort, il y a quelque chose de presque indécent, une fixation globale. Le reste du monde n’a plus aucune importance. La mort d’une star, la fin d’une étoile, le parcours tragique d’une comète, a évidemment plus d’importance que celle d’un gosse qui meurt de faim au Darfour ou celle d’un gosse fauché par une bombe anonyme en Irak... On parle du plus grand vendeur de disques de tous les temps.
Je repense au concert de Tunis, au stade d’El Menzah (en 1996). Je repense à cette musique vibrante, à la magie du moonwalk, à l’inventeur de la pop moderne, de la dance, de tout ce qui va suivre. Je pense à Michael Jackson, King of the Pop, à ce refrain inoubliable de Billy Jean (but the kid is not my son).Et à celui du tube du début des années 1990 : « You know, I’m bad »...

Orient : l’Iran dans l’impasse
JE NE FAIS PAS PARTIE DES IDÉALISTES qui pensent que la République islamique d’Iran va tomber comme un fruit mûr dans les semaines qui viennent. Je fais partie des idéalistes qui pensent qu’elle est condamnée à terme. Et que tout cela prendra du temps. Et que le régime, dominé par un mélange instable de mollahs, de conservateurs islamistes, de miliciens sans espoirs et d’intérêts économiques plus ou moins évidents, se défendra bec et ongles contre ce peuple qui s’émancipe. Les « vraies-fausses » élections ont été de vraie élections, tellement vraies que le scrutin a accouché d’un quasi coup d’État des milieux « ultra » contre le reste de la société. Le régime, dirigé par le tout-puissant guide suprême Ali Khamenei, a eu peur, c’est le mot, de l’élection d’un « modéré », Mir Hossein Moussavi, qui pourtant n’a rien d’un contre-révolutionnaire impressionnant. Ces élections ont montré que la République islamique se sent à la merci d’un vote populaire, dominé par des femmes et des jeunes. La façade institutionnelle s’est craquelée. L’élection a montré qu’Ahmadinehjad n’était qu’un instrument aux mains des mollahs, que ceux-ci ont été dépassés par la demande du peuple, qu’ils sont eux-mêmes divisés. On regarde l’Iran de 2009 et on pense au bloc soviétique de la fin des années 1980. Les Iraniens veulent être une puissance, certes. Ils veulent une capacité nucléaire, certes. Ils veulent protéger leur indépendance et leur pétrole, certes. Mais ils veulent faire partie du monde, ils veulent vivre au XXe siècle. Les Iraniens veulent un changement. Ils veulent s’intégrer dans le monde. Ils veulent parler aux Américains et aux Européens, et à leurs voisins. Ils veulent plus de démocratie et moins de religion. Les femmes veulent plus de liberté. Le pays veut sortir des sanctions. Ces élections montrent que, depuis trente ans de révolution islamique, l’histoire de l’Iran est une histoire de violence, de guerre, de luttes intestines. Ces élections ont montré, enfin, que l’aspiration universelle et générale des peuples, c’est d’aller vers plus de démocratie, vers plus d’ouverture. Ces élections ont montré, enfin, que l’ayatollah Khomeiny s’est trompé. En 1978, dans une interview à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le chef de la révolution déclarait : « Notre future société sera libre, et tous les éléments d’oppression, de cruauté ou de force auront été détruits... » Trente ans après, nous en sommes loin.

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 286 (juillet 2009) d’Afrique magazine.