#Abidjanthologie
Armand Patrick Gbaka-Brédé (son nom d’état civil) est écrivain, journaliste aussi à ses heures, photographe, scénariste. Ses romans sont marqués par un sens de l’humour et de la satire bien particulier. Émigration, colonisation, métissage sont au centre de son œuvre. Son dernier ouvrage, Cocoaïans (Naissance d'une nation chocolat), est sorti en août dernier.
#Abidjanthologie, c’est le hashtag que j’ai inventé sur les réseaux sociaux pour révéler au monde le caractère spécial d’Abidjan, tant dans cette ville, dès que ses habitants adoptent quelque chose, cela prend des proportions anthologiques. Par exemple, donnez-leur le français comme langue officielle, ils le transforment en nouchi, créolité vivace et phénoménale. « Go » (jeune fille), « enjailler » (faire plaisir), « boucantier » (frimeur) et même « brouter » (arnaquer par les sentiments) se sont invités dans les dictionnaires académiques des bords de Seine. Mettez un apprenti chauffeur dans un gbaka (véhicule de transport en commun), et il se transforme en receveurcomptable-équilibristegouailleur qui se balance sur les portes de voitures lancées à des vitesses folles sur des routes pourtant encombrées. Dallez un trottoir, et il devient marché grouillant et bruyant. Jetez des têtes de thons au rebut, ils en font du garba, plat national (thon frit et attiéké, une semoule de manioc).
La devise du pays est « Union, discipline, travail ». Survolez « Union », les oriflammes de 2011 l’ont un peu mise à mal, même s’il y a beaucoup d’espoir de réconciliation. Oubliez « Discipline », l’entropie de la ville est grande, le chaos semble être son étalon. Mais « Travail », malgré ce que les statistiques surréalistes sur le chômage veulent bien raconter, c’est l’obsession des Abidjanais. Ils sont prêts à tout pour ça, même à s’inventer des métiers parfois tellement spécifiques que nulle part ailleurs vous ne les trouverez, vous ne les figurerez même pas. Liste non exhaustive :
- Cabiniste : il n’a qu’un tabouret, la cabine, c’est son corps. Il vous remplira le téléphone de toutes les « unités » pour mobile ou datas Internet que vous voudrez. Il y en a même qui rechargent les téléphones étrangers.
- Épongeur : il n’essuie rien, déambule bardé d’éponges multicolores en forme de filets. Voix grave, chanson thème, pas de danse et blagues sur les « tueurs de cabris » (ceux qui n’aiment pas se laver) sont ses armes commerciales.
- Souricier ou cafardologue : c'est le cousin de l’épongeur, mais lui a un mégaphone dans lequel il maudit souris et cafards en leur promettant, avec force détails, trépas des plus atroces grâce aux produits qu’il vend.
- Embouteilleuse : contrairement à ce que dit son nom, elle n’a pas de bouteilles, mais plutôt des sachets d’eau fraîche, de grignotage ou des bibelots improbables qu’elle vend en se dandinant entre les voitures. On ne sait par quel miracle, elle apparaît systématiquement à peine un embouteillage se forme-t-il.
- Djosseur de nama : littéralement « l’attrapeur de voiture ». Ce parcmètre vivant vous aide à vous garer partout, et surtout n’importe comment.
- Shawarmama : aussi appelée Sisyphe des lagunes, cette femme d’un certain âge balaie le sable des routes bitumées. Ses bottes en plastique aux pieds, sous le soleil tropical, elle est chauffée par le bas et par le haut, comme un shawarma, d’où son nom.
- Diallo : dans un kiosque en bois, il vend des spaghettis aux rognons et des cafés au lait.