Aller au contenu principal
Côte d’Ivoire: aux urnes, citoyens !

Ambiance de maquis

Par Emmanuelle Pontié
Publié le 17 septembre 2025 à 12h47
Share

Quand la politique est sur toutes les lèvres, chacun y va de son pronostic sur l’avenir et de son bilan sur les années écoulées. Bribes d’échanges animés autour d’un poulet braisé.

Une des rues numérotées de Treichville. Ici, Dorothée et Liliane braisent des poulets avec une marinade aux ingrédients gardés secrets  au grand dam de certains jaloux. Quelques poissons aussi: «Des poissons frais, pas en cartons congelés comme en face», précise l’une d’elles. L’endroit est rudimentaire, mais plutôt propret. Quelques tables aux toiles cirées recouvertes de motifs kita made in Ivory Coast, un jerrican d’eau claire pour se laver les mains avant de manger l’attiéké avec les doigts.

L’endroit est prisé. Quelques berlines de luxe s’arrêtent le soir. Les chauffeurs des grands quelqu’un viennent chercher des braisés à emporter. Ces derniers les dégusteront chez eux, afin de ne pas s’exposer au «peuple».

Ce vendredi soir de juillet, le resto est plein et les bières se consomment à la pelle autour de conversations très animées. Le sujet roi: la présidentielle. «On ne sait pas si ADO va se présenter. Moi, je pense que non, il va mettre un dauphin», déclare un jeune homme au verbe haut. Son voisin rétorque: «Mais non, il va y aller! Toi aussi, comment tu peux dire ça? S’il avait un dauphin, il l’aurait déjà lancé dans la course!»

Tout le monde continue de parler fort, et peu à peu les tables conversent les unes avec les autres. Une jeune femme lance: «Il faut quand même que tout ça change, hein! Nous, on souffre, au quartier. J’espère que le prochain mandat va me donner l’argent!» Rires. Une autre tablée répond: «Rhooo, regarde, quand même! Est-ce que ce n’est pas mieux depuis des années? On a des routes, des ponts, on a aussi des dispensaires, des kits scolaires gratuits, et surtout la paix! Il ne faut pas oublier avant, hein! C’était pire.» «Il a raison, confirme un autre, une cuisse de poulet dans la bouche. Le gars a un bilan, il a bossé! Bon, ça pourrait être mieux, mais justement, si le pouvoir actuel continue après octobre, ça va aller encore mieux, et peut-être que tu auras l’argent! Les autres, là, on les connaît. Ils n’ont rien fait quand ils étaient là!»

Une femme lance la question: «À part l’argent, tu voudrais quoi de mieux?» Les réponses fusent: «Moins de petite corruption en bas, là. Et aussi la santé encore moins chère. Et puis du bon travail, mieux payé.» Un monsieur plus mûr résume: «Les enfants, j’étais au Burkina le mois dernier, et le pays est par terre, je vous jure! On me dit que c’est pareil au Niger, même au Cameroun! Là-bas, y’a rien. Ils nous envient d’être Ivoiriens. Ils disent qu’on parle toujours d’ici comme un modèle. Alors, il faut arrêter de se plaindre.»

Sur ces paroles, jugées plutôt sages par tous, qui acquiescent globalement, le débat s’assagit. Il est 23 heures. Les plus jeunes se lèvent pour aller groover quelque part plus loin, dans un autre maquis qui fait boîte de nuit les week-ends. Les plus anciens boivent leur dernière bière. Les propos de campagne reprendront un autre soir. Et il en sera ainsi jusqu’en octobre, qui que soient les candidats et les non-candidats. Des doléances toujours, certes, mais suivies de propos plus modérés, avec au coeur une fierté d’être Ivoirien aujourd’hui, comparé à d’autres Africains.
Un sentiment grandissant depuis une quinzaine d’années. Celui qui sera élu en octobre prochain aura pour tâche principale de le faire perdurer. Et quelques jours seulement après ces «propos de maquis», le président Alassane Ouattara s’est bien déclaré candidat.