À elles et eux la parole
Quel regard portent-ils sur l’évolution de la nation au cours des dernières années ? Quels sont leurs souhaits pour le futur ? Entretiens sur le terrain.

AKUESON NANDOUHARD
Guide conférencier, président de la Fédération nationale des guides de tourisme, professeur d’histoire géographie et auteur
«On veut des élections apaisées» «EN 2011, nous avons perdu près de 3000 vies. On ne veut plus que de telles choses arrivent au pays. On veut des élections apaisées, avec une belle participation. Et surtout une Constitution respectée, qui ne change pas à chaque échéance. On veut voir des candidats battus qui décrochent leur téléphone pour féliciter les gagnants. Pour la suite, l’accent doit être mis, selon moi, sur le tourisme! C’est encore trop marginal à l’échelle du PIB seulement 3% , alors qu’on a un potentiel immense. Il faut désenclaver les sites, construire des routes transversales, créer d’autres ponts. Beaucoup d’efforts ont été faits dans ce sens; il faut continuer. On doit pouvoir traverser le pays du nord au sud et de l’ouest à l’est, sans passer nécessairement par Abidjan. Cela servira autant les circuits touristiques que l’agriculture vivrière, pour redistribuer les récoltes sur les lieux de demande. L’emploi doit aussi être une priorité: sur dix jeunes, seuls deux ont un poste salarié formel, trois se débrouillent et cinq n’ont pas d’emploi. On doit les mener vers un métier ou l’entrepreneuriat. Et puis, on veut plus de sécurité. D’abord aux frontières, trop poreuses. Sur les routes intérieures et même à Abidjan. On ne veut plus de coupeurs de route. Plus jamais de peur sur les axes.»

AMÉLIE N’ZÉ
Psychothérapeute, naturopathe et autrice
«Manger et avoir un toit décent à des prix abordables»
«Pour le prochain mandat, je rêve d’une revalorisation des protéines végétales locales mil, sorgho, niébé… J’aspire à ce que tous les enfants ivoiriens aient accès à une vraie ration de protéines quotidienne, car cela fait défaut. Il faut une réforme du menu national. La qualité nutritive doit s’améliorer considérablement grâce à des produits locaux sélectionnés avec soin. Que l’on puisse manger et avoir un toit décent à des prix abordables, voilà mes aspirations pour le nouveau mandat. Mais avant ça, je rêve d’élections calmes. Idéalement, on ne devrait même pas les voir passer. Je ne veux pas revivre les évacuations par hélico…À plus long terme, c’est l’avenir éducatif du pays qui m’inquiète. Ma nièce a mis trois ans à valider sa première année d’université à cause des absences répétées des professeurs et des cours annulés. Si rien ne change, ma fille devra partir faire ses études à l’étranger. Or, ce n’est pas ce que je souhaite: je préfère la savoir à mes côtés, entourée par la famille.»

NABIL AJAMI
Chef d’entreprise, écrivain essayiste
«L’égalité des genres, une priorité nationale»
«On ne pourra pas bâtir un pays juste sans égalité réelle entre les femmes et les hommes. C’est une nécessité politique, économique et sociale. L’égalité des genres doit devenir une priorité nationale: en politique, dans l’accès à la terre, à l’entrepreneuriat, à la santé, à l’éducation. J’attends une campagne électorale apaisée, centrée sur les idées, avec une forte mobilisation citoyenne, notamment des femmes, qui jouent un rôle clé dans la cohésion sociale. Préparer les jeunes, ce n’est pas que les former: c’est créer une société équitable où chacun s’engage. En 2046, nous serons deux fois plus nombreux, avec 80% de jeunes. Il faudra leur donner les outils pour construire, rêver et gouverner. Une nation ne se construit pas sur l’exclusion, mais sur la transmission et la responsabilité partagée.»

ALEXANDRA DEGUILLAUME
Responsable marketing
«Je rêve d’un pays inclusif, ancré»
«J’attends de ces élections un tournant démocratique fort, mais aussi une vision audacieuse pour notre avenir. Une Côte d’Ivoire où les dirigeants sont choisis pour leur intégrité, leur écoute et leur capacité à rassembler. Je rêve d’un pays inclusif, ancré dans ses valeurs, fier de sa diversité et de sa jeunesse. Un pays qui n’exclut personne, qui crée des opportunités pour tous. La culture, l’éducation et l’innovation doivent devenir des priorités nationales. Aujourd’hui, nous sommes entendus, mais pas encore véritablement écoutés. Il faut oser prendre la parole, prendre sa place, bâtir collectivement. Notre génération a la responsabilité d’agir avec courage et de faire émerger un pays où chacun peut contribuer sans devoir partir. Cela exige des choix forts, cohérents, tournés vers le bien commun, pas vers des intérêts électoralistes.»
LÉA LE COQ
Directrice de production et développement de fictions pour séries TV
«On attend un pays décentralisé»
«Les élections sont sur toutes les lèvres. Le pays tend vers la paix, et la nouvelle génération a cela en elle. Pour la suite, l’éducation me semble être une priorité. On a une vraie dynamique économique, mais l’offre de formation ne suit pas. On le ressent dans les recrutements. Il faut aussi améliorer la sensibilisation sur les questions de santé. Beaucoup de drames viennent d’un manque d’information. On ne devrait plus mourir de choses évitables en 2025. Et puis, on attend une Côte d’Ivoire décentralisée. On doit pouvoir vivre partout. On souhaite que dans quelques années, des villes comme Bouaké puissent être aussi attractives et vibrantes qu’Abidjan.»

YVES GODOGO
Entrepreneur
«On espère la paix, l’harmonie»
«La priorité, pour moi, c’est le logement! Abidjan concentre la plus forte demande, mais les loyers sont devenus inaccessibles. Un salarié ne peut plus se loger décemment à proximité de son emploi. Il faut réguler les prix des loyers et augmenter significativement le Smic. Avec 75000 francs CFA, on couvre à peine les besoins de base. On ne peut ni s’installer, ni entreprendre, ni voir plus grand. Les élections approchent, et j’avoue être un peu inquiet. On ne sait jamais comment ça va se passer. On espère la paix, l’harmonie, un changement réel. On rêve d’une Côte d’Ivoire solidaire et décentralisée, où le développement profite à tout le monde.»

ADRIEN TURPAIN
Entrepreneur
«Il faut valoriser notre savoir-faire»
«Le prochain président devra soutenir les petites structures actives sur le terrain, pas celles qui profitent du système. Trop d’aides sont attribuées par réseau ou favoritisme, et non sur la base de l’impact réel ou du mérite. Il faut encourager les autoentrepreneurs, créer des initiatives, et investir dans les métiers à fort potentiel, comme l’hôtellerie restauration. Mon rêve est que ma génération bâtisse une Côte d’Ivoire qui inspire, une référence en tourisme durable, en excellence de service et en responsabilité environnementale. L’État doit miser sur la rigueur, la formation qualifiante, l’éducation civique. Il faut valoriser notre savoir-faire, notre jeunesse, nos ressources humaines. Qu’on ne rêve plus d’exil, mais d’un avenir à construire ici. Que ceux qui agissent soient ceux que l’on soutient. Il est temps que l’action de terrain l’emporte sur les effets d’annonce.»

THÉO YAO COUASSI-BLÉ
Gérant de restaurant et entrepreneur
«Nous devons recréer du lien, du collectif»
«J'attends de la stabilité, politique comme économique. Sans confiance dans les institutions, rien ne peut se construire. Mais il faut aussi une vision collective qui place la jeunesse au centre. Aujourd’hui, entreprendre, c’est trop d’obstacles et peu de soutien. Et pourtant, l’énergie est là. Je souhaite aussi des engagements forts sur l’éducation, la santé, le développement des secteurs locaux: agriculture, culture, numérique, artisanat. Le tourisme peut devenir un vrai levier, si on forme mieux, si on élève nos standards. Il faut aussi recréer du lien, du collectif. De nos jours, l’intérêt personnel prime sur l’intérêt commun. La solidarité doit être au cœur du projet ivoirien.»

MAÏLYSS BRENNER
Architecte
«Un pays bâti sur des valeurs solides»
«Je rêve d’une nation qui mise sur l’humain, car le potentiel est énorme. Le changement ne viendra pas seulement d’en haut, mais aussi de la capacité de chaque citoyen à participer, à se sentir utile, capable et responsable de notre devenir. Mon espoir: qu’un projet social et sociétal fort soit initié par le prochain gouvernement. J’aimerais voir davantage de personnes bien formées dans tous les domaines: cela améliorera beaucoup de choses dans l’expérience quotidienne, la qualité des services, la valeur locale et les opportunités économiques. Enfin, je souhaite un pays en paix, bouillonnant de créativité, et bâti sur des valeurs solides.»

COULIBALY SANGAFOLO
Artiste peintre
«La culture est un levier stratégique»
«La culture est plus qu’un loisir: c’est la base de notre identité, le lien qui nous unit et le miroir de notre richesse. Elle rassemble, éduque et inspire au-delà des différences. J’aimerais que le futur président saisisse son potentiel et en fasse un pilier du développement. Cela passe par des infrastructures modernes, des lieux accessibles, une place centrale dans l’éducation. L’art doit être enseigné dès le plus jeune âge pour former des esprits ouverts, sensibles et créatifs. La culture peut aussi créer de l’emploi, attirer les touristes, faire rayonner le pays dans le monde. Ma revendication? Que l’éducation artistique devienne obligatoire dès le primaire. Il ne faut plus considérer la culture comme un luxe, mais comme un levier stratégique.»