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Interview

Kaouther Adimi
« La fiction permet tout »

Par Astrid Krivian - Publié en mars 2023
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PATRICE NORMAND
PATRICE NORMAND

Le nouveau roman de l’écrivaine algérienne interroge le pouvoir de la littérature, parfois nuisible, sur les êtres dont elle s’inspire. À travers les destins de ses héros, l’autrice dresse une fresque de son pays au xxe siècle, de la colonisation jusqu’à la décennie noire.

Née en 1986 à Alger, l’écrivaine Kaouther Adimi a publié son premier roman Des ballerines de Papicha en 2010, puis Des pierres dans ma poche en 2016. Succès critique et public, Nos richesses, son troisième ouvrage – sur les traces de l’éditeur Edmond Charlot, créateur de la librairie Les Vraies Richesses à Alger, dans les années 1930 – a reçu le prix Renaudot des lycéens en 2017. Après Les Petits de Décembre (prix du Roman métis des lycéens 2019), l’autrice signe aujourd’hui Au vent mauvais, son cinquième roman. Il raconte les destins croisés de trois personnages, au fil d’une vaste fresque évoquant soixante-dix ans de l’histoire de l’Algérie au XXe siècle, de la colonisation à la lutte pour l’indépendance, jusqu’au basculement du pays dans la guerre civile en 1992. Leïla, Tarek et Saïd grandissent dans un petit village de l’Est algérien, El Zahra, au début des années 1920. Frères de lait, les deux jeunes hommes sont secrètement amoureux de Leïla. Séparés par les bouleversements historiques, Saïd devient écrivain, quand Tarek, berger, est enrôlé dans l’armée française pour combattre aux côtés des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Quant à Leïla, mariée de force à 13 ans, elle finit par divorcer, faisant face à la réprobation générale. Figure féminine émancipée, apprenant à lire et à écrire, elle suit son désir et épouse Tarek à son retour de la guerre. Engagé dans la lutte pour l’indépendance de son pays, celui-ci participe ensuite en tant que régisseur au tournage du film emblématique La Bataille d’Alger en 1965 [voir encadré pages suivantes], puis travaille comme ouvrier dans une usine en France, avant de devenir gardien d’une villa en Italie. À son retour en Algérie, dans les années 1970, Leïla lui apprend la publication du livre de Saïd, premier roman de langue arabe paru en Algérie, ce qui fera date. La vie des époux est alors tourmentée par ce livre dont ils sont les héros malgré eux et qui les met à nu – leur nom, leur village, leur parcours n’ont pas été transfigurés, travestis par la fiction. Leïla se sent trahie par la littérature, ce « vent mauvais », cette voleuse de vie, qui les dépossède de leur identité, opère un effacement des personnes réelles au profit des êtres de papier. Dans cet ouvrage trépidant, qui mêle les destinées intimes avec la grande histoire, Kaouther Adimi interroge le pouvoir des mots, la responsabilité de l’artiste sur la liberté de création, son utilisation de la réalité comme matériau, l’impact de l’écriture sur l’existence des êtres dont elle se nourrit.

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