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Mon Abidjan

L’insaisissable

Par Venance Konan - Publié en mars 2023
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NABIL ZORKOT
NABIL ZORKOT

Journaliste et écrivain, il a longtemps dirigé le groupe Fraternité Matin. Auteur d’une dizaine de livres, parmi lesquels le fameux Les Catapilas, ces ingrats (2009), il est aujourd'hui président du conseil d'administration de la Société ivoirienne de télédiffusion.

Je ne reconnais plus Abidjan. Je ne m’y retrouve vraiment plus. Ça bouge si vite que j’en perds la tête. Qu’est devenu le Treichville de mon enfance, avec sa fameuse Rue 12, ses célèbres boîtes de nuit ? Nos aînés allaient se trémousser à L'Oasis du désert, le dancing du chanteur Amédée Pierre, et s’encanailler à la Boule noire, lesquels ont aujourd’hui disparu. Nous, une fois étudiants, nous allions au Jannick Bar. Plus âgés, nous allions à La Canne à sucre ou à Cabane Bambou. Chacha, chez qui nous aimions aller déjeuner et boire un coup le soir avant d’aller en boîte, est partie dans l’autre monde. Lili la métisse, de son côté, a transformé son maquis Le Bleyssa en restaurant. Finis les poissons braisés arrosés de bières dégustés jusqu’aux aurores, au bord de la rue, près du caniveau. À l’époque, je ne sentais pas les odeurs. Aujourd’hui, si. Je crois que j’ai vieilli.

Il y a quelques années, nous nous étions reportés à la Zone 4 de Marcory. Il y avait tout en Zone 4. Les meilleurs restaurants, qui proposaient des cuisines de tous les pays, et puis, des bars et des boîtes de nuit pour tous les goûts et toutes les tendances. Des plus chics aux plus glauques. Puis, la Zone 4 a franchi les limites. Pratiquement plus un seul bar où les filles n’étaient pas totalement nues. La Zone 4 était devenue triste. À partir de 2011, le nouveau pouvoir mit le holà. Heureusement, il y a encore des restaurants et des bars chics, comme chez Quito, et des clubs de jazz.

Le musée des cultures contemporaines Adama Toungara, à Abobo, inauguré en mars 2020. NABIL ZORKOT
Le musée des cultures contemporaines Adama Toungara, à Abobo, inauguré en mars 2020. NABIL ZORKOT 

Abidjan bouge. Abidjan change. À vue d’œil. Abidjan est en chantier. On construit des échangeurs, des ponts, des routes, partout. Un majestueux pont à haubans est en train d’enjamber la lagune depuis le Plateau pour rallier Cocody. En dessous, la baie est aménagée pour devenir une belle marina pour bateaux de plaisance. Un autre pont, tout aussi majestueux, va relier Yopougon à Adjamé. Et le vieux stade Félix Houphouët-Boigny est en train de s’offrir une cure de jouvence. Sans doute pour rivaliser avec le nouveau, qui vient d’être construit à Ebimpé, du côté d’Anyama. De nouveaux quartiers naissent aussi, sans grande originalité architecturale, et surtout sans beaucoup de verdure.

Abidjan n’en finit pas de s’étirer, jusqu’à se confondre avec les cités voisines de Grand-Bassam, Bingerville, Songon, Anyama… Il y a, à côté de la très chic Beverly Hills des « en haut d’en haut », les cités-dortoirs des petites et moyennes bourgeoisies, les HLM des « en bas d’en bas », et les bidonvilles des exclus de la croissance qui poussent à une vitesse exponentielle. La ville n’est-elle pas en train de devenir comme Lagos ?

La vie nocturne renaît. Ici, à Yopougon. ALAMY
La vie nocturne renaît. Ici, à Yopougon. ALAMY

Circuler dans la ville est une épreuve qui fait justement penser aux célèbres « go slow » de Lagos. Mais on se console en se disant que lorsque tous ces travaux seront terminés, ce sera un mauvais souvenir. Car tous ces ponts, nouvelles routes, échangeurs n’ont que pour objet de rendre la circulation plus fluide. Et puis, il y a le métro qui arrive. Il est destiné à transporter à terme des centaines de milliers de personnes par jour.

Le Bushman Café, galerie d'art et lieu alternatif. DR
Le Bushman Café, galerie d'art et lieu alternatif. DR

En attendant que la cité ait fini sa mue, on s’y amuse quand même. Abidjan est en train de reprendre sa place de capitale culturelle de l’Afrique. De nombreuses galeries de renommée internationale, telles celles de Cécile Fakhoury, Ginette Donwahi ou Houkami Guyzagn, exposent les artistes les plus en vue sur le continent. Il y a aussi le musée des cultures contemporaines Adama Toungara (MuCAT), à Abobo. Les clubs de jazz et les pianos-bars qui avaient fermé durant les années noires de 2000 à 2011 ont rouvert. Des bars lounge où l’on boit du bon vin en grignotant du fromage ou de la charcuterie, des bars à cigares, des restaurants branchés, comme le Bushman Café ou le Toa, ont poussé un peu partout et drainent chaque soir du beau monde. Les super maquis, eux, ont toujours été là : la bière s'y boit par casier sur des airs de zouglou et de coupé-décalé. Abidjan revit. Abidjan renaît.