Mille Desirs
L’artiste, qui a grandi entre Abidjan, Nancy et Londres, se joue des genres et des normes pour embrasser ses multiples identités. Son premier disque offre une pop inclassable, libre et fiévreuse, nourrie de ses questions existentielles.
Un premier disque, tel un rite qui marque le passage délicat à l’âge adulte. Dans son introspectif EP, le chanteur et compositeur Mille Desirs puise dans ses blessures nées de sa première rupture amoureuse, ses désillusions, et explore ses questionnements identitaires. «Avant cette relation, je fantasmais, j’idéalisais l’amour. Toute ma vie, je l’ai attendu, convaincu que c’était la seule chose qui me rendrait heureux. Mais j’ai compris que j’avais besoin de plus», désosse l’artiste né en 2001 à Abidjan, et qui préfère taire son nom civil. Sa musique hybride – «car je le suis de par mon identité queer, noire»– est une envoûtante pop croisant énergie rock, sensualité R’n’B et textures électro tantôt planantes, tantôt rugueuses. Tout feu tout flamme, quitte à se brûler les ailes, cet ancien fêtard s’est enivré, étourdi dans les nuits fiévreuses de Berlin ou de Paris, égaré parfois dans les méandres du désir et des paradis artificiels. Entre amour et attirance, la frontière est trompeuse, a-t-il appris, une confusion des sentiments qui titre l’EP, Lust & Love («luxure & amour»). 26 Ayant quitté la Côte d’Ivoire à 3 ans avec sa mère, Mille Desirs a grandi au sein d’une communauté évangéliste à Nancy, dans l’est de la France. C’est en chantant des pièces religieuses (voix/piano) que naît sa passion pour la musique. Frank Ocean, Lana Del Rey et Yellow Days bercent son adolescence solitaire. Plus qu’un réconfort, la musique lui apporte une sécurité intérieure: «Tel le câlin d’une mère, elle était un repère essentiel. Je me sentais entouré, compris.» À 17 ans, il quitte sa communauté religieuse. «Ma véritable foi, c’est la musique.» Cible de harcèlements, étouffant dans une ville pas taillée à la mesure de ses ambitions, cet épris de liberté part aux États-Unis, puis rapidement à Londres poursuivre sa scolarité au sein de sa famille maternelle: «C’était très dur d’allier mes différentes identités, de les vivre, de devoir les justifier aux autres. Je n’étais pas le même à l’école, à l’église, à la maison, dans la rue. Je suis parti pour me réparer, me réinventer. J’ai toujours suivi mon instinct. Et ma mère m’a toujours fait confiance.»
Après des études de psychologie, puis un double cursus en philosophie et en sociologie, cet autodidacte désormais établi à Paris a déserté les bancs de l’université pour se consacrer pleinement à la création musicale. «J’ai enfin trouvé la raison pour laquelle je suis sur terre. Les émotions, les expériences intenses, débordantes, je peux désormais les écrire, les chanter et m’en libérer. Grâce à la musique, je ne me sens plus seul.» Actuellement étudiant dans une école où il apprend notamment le piano, il pratique aussi le voguing, cette danse émancipatrice née aux États-Unis dans les années 1960 au sein de la communauté LGBT+ noire et latino: «C’était inévitable dans mon parcours de personne non-binaire.» Le militantisme est une pierre angulaire de sa construction identitaire: «Je n’ai pas eu le choix. Très jeune, on m’a fait comprendre que ces multiples pans de mon identité me rendaient différent. Or, je ne suis pas obligé de choisir. J’ai le droit d’être toutes ces versions de moi-même.» Mille Desirs, mille identités.