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Ciné

Punk Fiction
À Casablanca

Par Jean Marie Chazeau - Publié en novembre 2021
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Khansa Batma et Ahmed Hammoud. DR
Khansa Batma et Ahmed Hammoud. DR

Tarantino à Casa ? SEXE, DROGUE ET HEAVY METAL sont au programme d’un ovni dans la production marocaine, parfois bancal, mais qui a tout du film culte. Avec une actrice primée à Venise.

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​​​​​​​ÇA COMMENCE TRÈS FORT juste avant le générique : une prostituée de Casablanca entre dans un taxi, faisant fuir un client choqué, et demande au chauffeur s’il connaît la blague du barbu et de la pute… S’ensuivra une rencontre choc avec un autre personnage sulfureux, un ex-rockeur à succès de retour dans son Maroc natal, habillé de peau de serpents des pieds à la tête, jusqu’à sa guitare électrique. Un couple improbable va ainsi se constituer et nous plonger dans la médina, avant d’être traqué dans le désert, rattrapé par son addiction aux drogues, à l’alcool… et par un psychopathe plus complexe qu’il n’y paraît… Attention, ce premier long-métrage est un film de genre, loin du naturalisme, même s’il est tourné dans les rues (les « zanka » du titre original : Zanka Contact) du quartier Cuba, quartier difficile de la vieille ville. Les personnages sont à la fois cassés et flamboyants, les sentiments exacerbés. On a parfois du mal à comprendre l’enchaînement des situations, mais quelle ambiance ! La bande originale, qui fait entendre le hard rock des Variations (groupe français d’origine marocaine qui a joué en première partie de Led Zeppelin), du rock touareg des années 1950, ou encore « les Rolling Stones de l’Afrique », Nass El Ghiwane, y est pour beaucoup.

On pense à Quentin Tarantino (bande originale rock, personnages tordus, hémoglobine), Sergio Leone (le désert), et même à Jean Cocteau (un emprunt à Orphée, récemment déjà vu chez Mati Diop). Entre fiction trash et western spaghetti, une poésie dopée à la guitare électrique irrigue les deux heures de cette improbable cavale, où l’alcool coule à flots et la drogue se répand comme un venin.

​  La comédienne, qui incarne une prostituée, a été récompensée à la Mostra. DR  ​
La comédienne, qui incarne une prostituée, a été récompensée à la Mostra. DR

Si cette plongée dans le heavy metal marocain parfois foutraque (et où la femme n’est puissante qu’en étant passée par le trottoir…) finit par nous emporter, c’est grâce au soin donné à sa mise en scène, jusqu’aux décors et au son, et à son interprétation : Khansa Batma, qui incarne la prostituée à la voix d’or, a d’ailleurs été récompensée à la dernière Mostra de Venise. Ce qui aurait pu n’être qu’une série B pour fans de rock’n’roll s’avère finalement un film qui secoue les habituelles oppositions entre tradition et modernité, Occident et monde arabe. Hors champ, savoir que son réalisateur, Ismaël El Iraki, est un rescapé de l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015 ajoute à cette impression de fureur de vivre rock et post-traumatique…