Sabine Pakora
Dans son spectacle autobiographique
La Freak, journal d’une femme vaudou, la comédienne d’origine ivoirienne questionne l’altérité en mettant au jour les clichés sur les minorités. Intime et politique, émouvant et satirique, ce seule en scène est présenté au festival d'Avignon.
Mama africaine, maraboute, prostituée, femme de ménage, sommée de tchiper et de parler avec un «accent africain»... Sabine Pakora a longtemps souffert des rôles stéréotypés, essentialisés, qu’on lui proposait d’incarner au cinéma et à la télévision française. Des personnages empreints d’un regard exotisant, hérités d’un imaginaire colonial: «Je me sentais réifiée. J’ai beaucoup joué la prêtresse vaudoue, laquelle représente le fantasme de la société française sur l’Afrique. J’étais la cerise exotique sur le gâteau», raconte l’actrice, entre deux gorgées de soda, sur une terrasse parisienne ensoleillée. Forte de ses études en anthropologie et en sociologie, qui lui ont permis d’affûter et de nourrir ses réflexions, de politiser ses expériences artistiques et professionnelles, elle a écrit un spectacle inspiré de son parcours: La Freak, journal d’une femme vaudou, qu’elle interprète seule et met en scène. «Il pose la problématique de l’assignation, des stéréotypes, des stigmatisations. Je questionne l’altérité, la relation de la norme et de la périphérie. Dès que tu es un peu différent, tu es ostracisé, “freakisé”», s’indigne celle qui a témoigné dans l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier, initié par Aïssa Maïga en 2018.
Si rien ne la prédestinait à être comédienne, l’art dramatique constitue pourtant le fil rouge de son existence. Née en Côte d’Ivoire, où son père a fait fortune dans l’exploitation du bois, Sabine Pakora arrive en France à 4 ans avec sa famille, à Paris, puis dans le Sud. Ne trouvant pas de compagnon de jeu au sein de sa fratrie, la cadette s’invente des histoires avec ses poupées et s’évade à travers la télévision, rejouant par cœur des scènes de films face au miroir. Quand son père fait faillite, il abandonne ses enfants à l’Aide sociale à l’enfance. À 7 ans, le lien avec sa mère, que ce dernier a répudiée, est aussi coupé. Le cinéma revêt alors un sens encore plus vital, nécessaire. «Je vivais un traumatisme; c’était compliqué de mettre des mots sur la douleur. Le septième art me permettait de rêver, de me projeter, de suivre des personnages qui exprimaient émotions et pensées», confie cette fan de Sergio Leone, de Romy Schneider, et du film musical Les Demoiselles de Rochefort.
Après un bac théâtre, une formation au Conservatoire d’art dramatique de Montpellier, puis à l’École supérieure d’art dramatique, à Paris, l’actrice s’éprend de danse africaine: «Je me suis ainsi réapproprié ma propre culture.» Elle tourne dans le monde entier avec la compagnie Montalvo-Hervieu, est à l’affiche de la comédie musicale Kirikou. Puis, suite à une blessure, et mue par un désir profond de travailler des textes, elle revient à ses premières amours: sur les planches, elle joue notamment sous la direction de Hassane Kassi Kouyaté et, sur grand écran, de Lucien Jean-Baptiste et de Toledano et Nakache. Actuellement, elle tourne un projet américain: «Un rôle qui n’est pas stigmatisé. Je me sens libre. C’est donc possible!» Et planche sur l’écriture de l’histoire de ses parents, qu’elle n’a quasi pas connus. «Je veux découvrir quelle était leur jeunesse pendant la période coloniale. C’est aussi mon héritage.»