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Parcours

Samira Sedira
De l’ombre à la lumière

Par Astrid Krivian - Publié en mai 2022
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« J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. ».SABRINA MARIEZ
« J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. ».SABRINA MARIEZ

​​​​​​​L’autrice et comédienne Franco-Algérienne signe un quatrième ouvrage saisissant, Des gens comme eux. Inspiré d’un effroyable fait divers, il a reçu le prix Eugène Dabit du roman populiste 2021, qui soutient la littérature engagée.

Des Gens comme eux, éditions du Rouergue, 144 pages, 16,50 €.DR
Des Gens comme eux, éditions du Rouergue, 144 pages, 16,50 €.DR

La voix est posée, le phrasé savamment rythmé, les mots ciselés. Dans l’effervescence du festival Le Livre à Metz, temps fort de la scène littéraire, Samira Sedira captive l’auditoire. Elle lit un extrait de son dernier roman, Des Gens comme eux, librement inspiré de l’affaire Flactif, tuerie d’une famille survenue en Haute-Savoie, en France, en 2003. Une plongée dans la complexité de l’âme humaine pour tenter de comprendre les rouages menant à la barbarie. « Le rôle d’un auteur est d’éclairer les ténèbres, d’offrir un peu de compréhension de l’humanité », détaille l’écrivaine. Ce fait divers, « rupture dans l’ordre des choses », concentre à ses yeux tensions sociales, raciales, jalousie, rapports de force. « Aucun article n’a mentionné la dimension raciste du crime, pourtant vérifiée par la suite. Ce couple aisé, mixte, qui affichait leur forte assise sociale, était un objet désirable, envié, détesté. » Née en Algérie en 1964, arrivée en France à quatre mois, Samira Sedira grandit à la Seyne-sur-Mer, en Provence. L’écriture est une « vieille compagne » pour elle. Avec ses sœurs, elle dévore les livres, et noircit ses cahiers d’histoires qu’elle invente : « Adolescentes, éduquées selon la tradition, on sortait peu. On s’évadait par la lecture. » Après le bac, sur les bancs de la faculté des langues où elle s’ennuie ferme, elle découvre la magie du théâtre au sein de la troupe universitaire. À travers le jeu, l’étincelle jaillit : elle qui peine à exister dans une famille nombreuse est enfin regardée. Sous les feux de la rampe, elle se sent puissante. La scène libère ses émotions muselées, legs de ses parents immigrés relégués au silence. Diplômée de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Étienne, elle incarne les grands textes (Beckett, Koltès, Shakespeare, tragédies grecques…) sur les tréteaux de France pendant vingt ans. Jusqu’au jour où tout s’arrête. Le téléphone ne sonne plus. « C’est la cruauté du métier : il vous enlève soudainement tout ce qu’il vous a donné. » L’indépendance chevillée au corps, elle fait alors des ménages pour subsister. Elle passe de la lumière à l’ombre, de la visibilité de l’actrice admirée à l’invisibilité de l’agente d’entretien. « J’ai alors compris que l’on est défini par notre travail, notre statut social. Je n’étais plus qu’un corps, pétri de douleurs, de fatigue. » C’est pourtant cette épreuve qui lui ouvre les portes de la littérature et de ses origines.Faisant surgir une mémoire enfouie, l’exil de ses parents algériens, cela lui permet de comprendre en profondeur leur vécu, leur condition. « En endossant leur costume social, je me sentais plus proche d’eux. » Son père, ouvrier, arrivé seul en France dans les années 1950, logé dans des habitats insalubres, et sa mère, venue le rejoindre, déchirée par la plaie vive du déracinement. Tous deux enjoints à raser les murs. Elle prend alors la plume et signe L’Odeur des planches (2013), interprété ensuite sur scène par Sandrine Bonnaire. « J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. Je veux dire mon envie d’exister, dans mon pays, la France, et faire résonner le silence de mes parents. »