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Le président Alassane Ouattara lors de l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle, le 29 juillet 2025. PRÉSIDENCE DE CÔTE D’IVOIRE
Le président Alassane Ouattara lors de l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle, le 29 juillet 2025. PRÉSIDENCE DE CÔTE D’IVOIRE
Côte d’Ivoire: aux urnes, citoyens !

Scrutin, mode d’emploi

Par Philippe Di Nacera
Publié le 17 septembre 2025 à 16h51
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Décryptage des mécanismes d’un moment démocratique essentiel, encadré par les textes.

Mardi 29 juillet, le président Alassane Ouattara met fin au suspense: «Je suis candidat, parce que je veux que notre chère Côte d’Ivoire continue de demeurer un pays prospère, en paix et en sécurité», annonce-t-il. La treizième élection présidentielle du pays est lancée, la septième depuis la fin du parti unique et les débuts du pluralisme dans le pays (1990).

Depuis l’an 2000, et dans une suite logique, l’organisation des élections n’est plus confiée au ministère de l’Intérieur. Après dix ans de débats dans le contexte de l’instauration d’une démocratie plurielle, l’objectif a été de créer une institution ad hoc, la Commission électorale indépendante (CEI). Pour éviter tout soupçon d’intervention du gouvernement en place (quel qu’il soit) dans le processus électoral, assurer l’impartialité, la transparence et la crédibilité des scrutins. Elle s’appuie sur des «CEI locales», installées dans chaque département, chargées de relayer toutes les opérations du processus en amont de l’élection, et de collecter, rassembler, comptabiliser les suffrages issus des bureaux de vote de leur juridiction, avant de les envoyer à la commission centrale, à Abidjan, qui consolide les résultats.

Vingt-cinq ans et trois réformes après sa création, l’organisme se doit de lutter en permanence pour imposer sa crédibilité aux yeux des acteurs politiques, en particulier ceux de l’opposition du moment. On scrute chacune de ses décisions en fonction, le plus souvent, des intérêts partisans. Suite à la réforme de 2019, dans un effort d’ouverture porté par le «dialogue politique» organisé par le gouvernement, la composition de la CEI a été modifiée. Les partis politiques de la majorité et de l’opposition, représentés à l’Assemblée nationale, siègent à la commission, tout comme les représentants du président de la République, du ministre de l’Intérieur, du ministre de la Justice et plusieurs membres de la société civile. L’institution est assise sur un fonctionnement particulièrement encadré par le Code électoral. Elle organise, supervise, contrôle toutes les opérations électorales. Le tempo de ce long processus, pavé d’étapes, est minutieusement décrit par les lois et les textes réglementaires. Chaque étape, partagée avec les acteurs politiques, donne lieu à une intense communication à l’endroit des citoyens ivoiriens. L’ensemble laisse peu de place à l’improvisation.

LA RÉVISION DE LA LISTE ÉLECTORALE (RLE)

Tout commence par la mise à jour de la liste électorale. C’est la première étape, préalable au lancement de l’organisation des élections, nationales comme locales, en Côte d’Ivoire. Le Code électoral prévoit de le faire chaque année. Dans la perspective du scrutin présidentiel du 25 octobre 2025, la Commission électorale indépendante a procédé en octobre 2024 au lancement de la «révision de la liste électorale» (RLE).

Cette opération prévue initialement en juin 2024, puis en septembre, avait été par deux fois repoussée à la demande des partis politiques, qui avaient fait valoir que la petite saison des pluies (en juin) et la rentrée scolaire de septembre n’étaient pas des périodes propices à la mobilisation des citoyens pour s’inscrire sur la liste électorale.

La RLE consiste en un «nettoyage» de la liste pour la rendre conforme à la «réalité» du corps électoral: radiation des personnes décédées ou de celles condamnées à la déchéance de leurs droits civiques; actualisation des données personnelles, comme les changements d’état civil ou d’adresses intervenus depuis la dernière révision; inscription des jeunes de 18 ans ou de toute personne non encore inscrite. Le calendrier de la RLE figure, sur proposition de la CEI, dans un décret paru le 5 septembre 2024. La première phase, celle du recensement, a duré du 19 octobre au 17 novembre 2024, après une prolongation de sept jours, dans plus de 10000 centres d’enrôlement répartis sur l’ensemble du territoire.

Une fois les informations collectées, il faut les traiter. Une opération qui dure plusieurs semaines. C’est en mars 2025 que la CEI a procédé à l’affichage de la «liste provisoire» dans tout le pays. S’ouvre alors «la période de contentieux». Car chaque citoyen peut contester, preuves à l’appui, la présence (ou l’absence) d’un nom sur la liste. Une fois les arbitrages effectués par un juge dédié, non susceptibles de recours, la «liste définitive» est enfin publiée. Cette année, c’était le 4 juin 2025. Fin de la première étape.

La révision de la liste électorale, forcément hautement sensible, a alimenté la chronique politique durant les six premiers mois de l’année 2025. L’exclusion de cette liste de Tidjane Thiam, le président du PDCI-RDA, celle de Laurent Gbagbo, ex-président de la République et président du PPA-CI, et celle de Charles Blé Goudé, président du COJEP, ont suscité la polémique. L’opposition accuse le pouvoir de vouloir écarter ses adversaires. Elle exige la reprise du «dialogue politique» et une nouvelle RLE avant le scrutin d’octobre. Ce que refuse d’envisager la CEI, qui affirme que les partis d’opposition étaient informés du calendrier depuis le début du processus de révision et que le temps incompressible d’une RLE ne permet pas de l’envisager avant le scrutin, mais plutôt après. Quant au gouvernement et au RHDP, ils se défendent de toute intervention dans ces décisions d’ordre judiciaire. Ils dénoncent la «faiblesse» de l’opposition et la soupçonnent de vouloir «tout mélanger»  en clair, d’empêcher l’élection présidentielle d’avoir lieu.

PARRAINAGES, CAUTION ET DÉPÔT DES CANDIDATURES

La révision des listes électorales a eu lieu entre le 19 octobre et le 10 novembre 2024, en préparation de la présidentielle de 2025.AFP PHOTO/SIA KAMBOU
La révision des listes électorales a eu lieu entre le 19 octobre et le 10 novembre 2024, en préparation de la présidentielle de 2025. AFP PHOTO/SIA KAMBOU

Le 1er juillet 2025 s’est ouverte la période des parrainages. Elle prend fin, théoriquement, à la date de clôture du dépôt des candidatures, soit le 26 août 2025. Car, pour éviter les ambitions plus ou moins fantaisistes, des garde-fous ont été posés. Il s’agit, d’abord, de l’obligation faite à chaque candidat de déposer une caution de 50 millions de francs CFA. Il se doit ensuite de réunir sous son nom le parrainage de 1% du corps électoral dans la moitié des régions du pays et dans l’un des deux districts autonomes (Abidjan et Yamoussoukro). Avec, cette année, l’introduction d’une innovation de taille pour éviter les doubles, voire triples parrainages généreusement accordés à plusieurs candidats par certains citoyens: la biométrie (empreintes digitales ou reconnaissance faciale) pour authentifier les signataires et éviter les fraudes. Des kits numériques ont été fournis aux équipes de collecte, mais une procédure manuelle est autorisée en cas de panne. Les équipes de campagne ont bénéficié de formations au siège de la CEI pour maîtriser la procédure et l’usage du matériel fourni. Tout le monde en convient: les candidats qui ne disposent pas d’une organisation performante et d’un nombre conséquent de partisans auront du mal à rassembler les signatures nécessaires.

Tous les acteurs admettent, dans son principe, le système du parrainage. Mais les candidats indépendants, notamment l’ancien préfet d’Abidjan, Vincent Toh Bi, et le député-maire de Tiassalé, Assalé Tiémoko, dénoncent un processus trop complexe, peu opérationnel sur le terrain, et y voient une menace pour leur candidature. Au point d’en réclamer la suppression. D’autant que la difficulté de l’exercice est accrue par une fenêtre étroite pour récolter les parrainages citoyens (entre le 1er juillet et le 26 août 2025).

Les candidats qui parviennent à passer la redoutable épreuve des parrainages déposent leur dossier de candidature à la CEI. Cette année, cela est possible à partir du 26 juillet 2025 et jusqu’au 26 août, soit soixante jours avant le début du scrutin (article 52 du Code électoral).

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ENTRE EN JEU

Les dossiers de candidature recueillis par la CEI sont transmis tels qu’ils sont reçus au Conseil constitutionnel, avant le 29 août 2025, pour y être instruits. La liste des candidatures est publiée. Chacune fait l’objet d’un minutieux examen pour vérifier que les candidats respectent les conditions d’éligibilité figurant dans les articles 53 et 54 du Code électoral et dans la constitution de 2016: âge (au moins 35 ans), nationalité exclusivement ivoirienne, né de père ou de mère ivoiriens d’origine, jouissance des droits civiques, casier judiciaire vierge, inscription sur la liste électorale, en règle avec les impôts, produisant le nombre de parrainages citoyens exigés par le texte, à jour dans le paiement de la caution… Tout est passé au crible.

C’est donc la plus haute institution judiciaire du pays qui a le dernier mot pour établir la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle, quarante-cinq jours avant le scrutin au plus tard. C’est elle aussi qui prononcera le résultat officiel de l’élection.

Une fois tous les acteurs connus, la précampagne peut commencer. Deux mois, septembre et octobre, d’activité sur le terrain, aux quatre coins du pays et dans les médias.

DERNIÈRE LIGNE DROITE AVANT LES RÉSULTATS

Et la campagne électorale officielle sera brève. Les quinze derniers jours avant le scrutin du 25 octobre 2025, premier tour de l’élection présidentielle (en Côte d’Ivoire, le scrutin est en deux tours).

Les jours J, chaque candidat doit avoir des représentants dans les milliers de bureaux répartis dans tout le pays. Les CEI locales récoltent les résultats bureau par bureau, avant de les consolider pour l’ensemble de leur circonscription et de les envoyer à Abidjan.

La CEI a cinq jours pour tout compiler et annoncer un résultat provisoire (du 26 au 30 octobre 2025). Les trois jours qui suivent, elle doit transmettre tous les procès-verbaux de dépouillement et les pièces justificatives au Conseil constitutionnel (le 2 novembre au plus tard). Car c’est bien à lui de prononcer le résultat définitif, à chaque tour de scrutin. Il a sept jours (article 61 du Code électoral), après la transmission des pièces par la CEI, pour tout examiner, traiter les éventuels contentieux introduits par les candidats et dévoiler enfin le résultat. Si le premier tour suffit, le nom du nouveau président de la République sera connu le 13 novembre au plus tard. Il prêtera serment le 8 décembre 2025.

En cas de second tour, celui-ci se tiendra le dernier samedi du mois de novembre, soit le 29 (article 45 du Code électoral). Les mêmes délais légaux qu’au premier tour s’appliquent à la CEI et au Conseil constitutionnel. Dans ce cas de figure, le nom du chef de l’État sera dévoilé le 14 décembre 2025 au plus tard.

C’est évidemment dans cette dernière ligne droite que la situation peut se dégrader. Comme en décembre 2010, lorsque Laurent Gbagbo refuse d’admettre sa défaite et fait invalider les résultats par un Conseil constitutionnel acquis à sa cause. Des tensions également en 2020 avec la réélection d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat (le premier sous la nouvelle constitution de 2016), et le refus du PDCI-RDA et de Henri Konan Bédié de participer au processus.

Pour cette élection d’octobre 2025, les enjeux sont donc majeurs. À la fois en matière de stabilité, d’approfondissement démocratique et de perception du pays à l’extérieur. Les acteurs économiques, les investisseurs locaux et internationaux ont besoin de visibilité et d’assurance. Le pays a besoin de paix et d’un débat ouvert et transparent. Le chef de l’État, à nouveau candidat pour un quatrième mandat, a mis tout son poids dans la balance. Il s’est engagé à ce que l’élection présidentielle soit «calme et apaisée».

Outre le président, et à l’heure où ces lignes sont écrites, on compte déjà dans les starting-blocks d’éminentes personnalités politiques: Jean-Louis Billon, ex-ministre PDCI-RDA du gouvernement Ouattara, en rupture de ban avec son parti; Simone Ehivet Gbagbo, ex-Première dame et ex-épouse de Laurent Gbagbo, à la tête du parti Mouvement des générations capables (MGC), qu’elle a fondé; Pascal Affi N’Guessan, président de l’historique FPI. Il reste désormais à savoir si le PDCI-RDA et le PPA-CI présenteront malgré tout un candidat pour peser sur le scrutin. De leur côté, ADO et le RHDP peuvent s’appuyer sur un bilan et un «projet 2030». Et on attend avec impatience un véritable débat public sur les enjeux et les défis pour la Côte d’Ivoire de demain – un débat qui dépasse les polémiques politiciennes de court terme.