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Rokhaya Diallo

Nouvelle génération

Par jmdenis - Publié en août 2015
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Elle arrive au rendez-vous, silhouette fine, cheveux teints en blond, souriante, timidité palpable. Issue d’une famille de Sénégalais immigrés en France dans les années 1970, Rokhaya Diallo aura connu, avec son frère, cette grisaille urbaine haute en couleurs multiraciales qu’est la banlieue. Cette fille d’un mécanicien et d’une professeure de couture, née à Paris en 1978, a grandi à La Courneuve. Après son bac en 1996, elle décroche brillamment une maîtrise de droit international et européen puis un master en marketing et distribution dans l’industrie audiovisuelle, avant de travailler pendant huit ans dans la conception de programmes jeunesse pour le petit écran.

Rokhaya, une Afropéenne telle que l’exalte l’écrivaine Léonora Miano. Et qui tient un discours dérangeant pour beaucoup. Depuis 2007 plus précisément, année du lancement de l’association Les Indivisibles, qu’elle préside. Son but : « déconstruire » les préjugés d’une certaine France. Cette association sera à l’initiative, deux ans plus tard, des Y’a Bon Awards, sorte d’Oscars annuels des « meilleures phrases racistes » prononcées par des personnalités publiques et décernés avec humour. Elle est devenue journaliste, chroniqueuse à RTL, réalisatrice et écrivaine. Quand, le 7 janvier dernier, survient la tuerie par des jihadistes d’une partie de l’équipe de Charlie Hebdo, les médias se font un plaisir de rappeler qu’un incendie criminel avait ravagé les locaux de ce même journal quatre ans plus tôt et qu’à cette occasion Rokhaya avait signé l’appel « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! ». Un appel qualifiant la démarche de cette publication comme relevant d’« un anticléricalisme primaire doublé d’une obsession islamophobe ».

Ses interventions suscitent désormais la polémique ; elle est une des porte-parole d’une gauche new generation, constituée en partie de ces enfants d’immigrés exigeants envers la « mère patrie » et qui la rêvent véritablement black-blanc-beur. Telle cette bande de copines aux origines et religions diverses qu’elle a imaginée pour sa première BD, Pari(s) d’amies (Delcourt), publiée en avril dernier. Rencontre.

AM : L’Afrique n’est pas très présente dans votre parcours…
Rokhaya Diallo : Non, en effet, tout simplement parce que je suis et me sens avant tout européenne et française dans une France qui n’est pas exclusivement composée de gens à la peau blanche ! J’ai pourtant des reproches à faire à mon pays : il ne tient pas ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité envers tous ses enfants. Je crois qu’il ne se console pas de sa puissance économique perdue, qu’il a une immense nostalgie de son empire colonial disparu, qu’il a peur de ces gens venus d’ailleurs. Ceci dit, je suis reconnaissante à mes parents de m’avoir donné un prénom sénégalais, de m’avoir légué cette trace de mes origines. Mais ce que je veux avant tout, c’est choisir comment je me définis et ne pas obéir à ce « déterminisme » de la peau.

Donc vous ne vous identifiez pas forcément aux Noirs ?
La négritude, c’est juste une communauté d’expérience construite dans la douleur. Et ça, je le refuse !

L’univers de votre BD, Pari(s) d’amies, est très gentillet…
Je voulais montrer un Paris de la diversité, raconter une histoire dans laquelle je pouvais enfin me reconnaître, où il y avait, pour une fois, des personnages noirs ou jaunes.

Pourquoi avoir choisi des femmes comme héroïnes ?
Le féminisme a été mon premier combat et il l’est toujours. Je me bats pour que les femmes disposent de leur corps comme elles l’entendent. Raisons pour lesquelles je suis contre l’abolition de la prostitution. Ce qui explique aussi ma position quant au port du voile. Je ne suis ni pour ni contre. Je souhaite simplement que les musulmanes aient le droit de le porter si tel est leur désir. La loi de 1905 sur la laïcité porte sur la séparation de l’Église et de l’État et stipule que les fonctionnaires ne doivent pas porter de signes religieux ostensibles, mais ça ne s’applique pas aux parents ou aux enfants à l’école, par exemple ! On mélange tout en France depuis le 11 septembre 2001…

Pourquoi ce nouveau terme d’islamophobie ?
Il fallait nommer précisément ce nouveau racisme. Car l’islamophobie est une forme de « racialisation ». On prend des caractéristiques d’un groupe que l’on fige et on prend ces critères pour le sortir de la collectivité.

Pourquoi avoir signé ce fameux appel en 2011 ?
Honnêtement, je ne l’aurais pas écrit en ces termes mais j’assume car cet appel soulignait une chose qui me tenait particulièrement à cœur, les discriminations subies par les Roms.

Mais Charlie Hebdo a toujours été une des rares publications en France à avoir combattu toutes les formes de racisme, de ségrégation sociale…
Certes, tout n’est pas à jeter dans ce journal. Mais je n’aime pas chez eux ces attaques contre le physique comme, par exemple, ce dessin de Marine Le Pen poilue sur une de leurs dernières couvertures.

Et le droit à l’humour, même gras, même blasphématoire ?
Je le reconnais totalement ! C’est d’ailleurs au nom de ce droit à l’humour que nous n’avons jamais décerné un Y’a Bon Award à Charlie Hebdo, ni à aucun humoriste. Moi, en tant que musulmane, leurs caricatures du Prophète m’indiffèrent mais le problème, c’est que de nombreuses personnes ont été blessées…

Ne faites-vous pas finalement partie d’une génération un tantinet sérieuse ?
C’est vrai, on est plus respectueux. On est né avec Internet, on a donc peut-être davantage conscience du monde et de ses violences que les générations précédentes. Les soixante-huitards étaient des enfants gâtés de l’histoire. Nous, on sait que l’on connaîtra le chômage endémique et la première fois que l’on nous a parlé de sexe à l’école, c’était sous l’angle du sida !