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African blues

Par francisl - Publié en juillet 2011
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DÉBUT JUIN, le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, affirmait : « Kaddafi ne peut plus diriger la Libye et doit être incité à partir sans causer plus de torts. » Sa déclaration a signé symboliquement la fin du protocole de médiation mis en place trois mois plus tôt à Tripoli par l’Union africaine (UA). Ses États membres, réunis au mois de mars à Nouakchott, avaient arrêté leur position sur la crise libyenne, s’opposant à l’option militaire de la coalition occidentale et réclamant « la cessation immédiate de toutes les hostilités ». Lors du déclenchement des révolutions en Tunisie et en Égypte, dans les couloirs dusiège de l’UA à Addis-Abeba, on reconnaissait, mezza voce, que la mais on n’avait pas coutume de « réagir à chaud » aux événements d’une telle nature. Espérant secrètement un retour au statu quoante, la Commission de l’UA avait brillé par son silence lors desépisodes du « printemps arabe » à Tunis et au Caire. Concernant la Libye, attentismeet réserve étaient impossibles, sachant le poids de ce pays au sein de l’Union. Un poids politique et… financier. Ainsi, parier sur le maintien au pouvoir de Kaddafi signifiait aussi, et très prosaïquement, la sauvegarde du budget de l’UA. Morose ambiance, ces temps-ci, au siège de l’organisation. La routine dans laquelle se trouve installée lalégion de fonctionnaires souvent davantage occupés à boucler leur fin de carrière qu’à dynamiser cette institution se trouve rudement malmenée par le tumulte sourd du dossier libyen. Cette crise s’annonçait comme un défi lancé à l’intelligence collective des États membres, mais surtout à la présidence de la Commission. Cette dernière pouvait-elle se montrer capable de produire un protocole en rupture avec la tradition de la fameuse« palabre africaine » faite de connivences inavouées, de compromis à courte vue, et demoins en moins adaptée aux nouvelles formes de conflits ? La limite de la palabre s’esttrès tôt manifestée, avec le rejet de la « feuille de route » des médiateurs de l’UA par les membres du Conseil national de transition (CNT) libyen. Plus la diplomatie africaine multiplie ses contacts, plus sa parole dépérit. D’abord,face à la réalité du terrain – les bombardements de l’Otan et l’entreprise de guerre durégime de Tripoli et, surtout, du fait du succès politique croissant du CNT sur la scène internationale. Fin mai dernier, Mustafa Shibani, son représentant à l’international, meconfiait, catégorique : « Nous n’avons aucune confiance en l’Union africaine, même si la Libye que nous voulons reconstruire reste solidaire de l’organisation. »La politique étant l’art de gérer le réel, l’UA aurait dû, depuis quelque temps déjà,réajuster son protocole. L’aptitude à s’adapter aux situations de rupture n’étant pas lamarque de fabrique de l’institution, sa parole officielle s’évapore à mesure que des voix discordantes se manifestent en son sein. Trois mois après le déclenchement de l’insurrection libyenne, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, se démarquant de l’intangible position de l’Union, réclame désormais le retrait du pouvoir de Mouammar Kaddafi.Son homologue mauritanien, chargé de diriger le comité des présidents africains pourune solution négociée au conflit en Libye, exprime le même souhait. Mi-juin, lors d’une conférence de presse, les propos du président malien, Amadou Toumani Touré, quoi que sibyllins, rejoignent ceux de ses pairs précédemment cités. Bientôt, d’autres suivront…Au désert de la palabre africaine succède le chagrin des occasions ratées. Cruelle solitude du président de la Commission, Jean Ping. Terrible fragilité d’une institution à laquelle les événements actuels imposent un nécessaire aggiornamento. Née à Syrte,en Libye, c’est dans ce même pays que l’UA se trouve aujourd’hui invitée à se défaire deses contradictions initiales. Reste à trouver en elle les ressorts pour négocier sa survie, peut-être même pour opérer un saut qualitatif, à la faveur de ce tournant libyen.

Par Francis LALOUPO - Journaliste et spécialiste en géopolitique