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PASSI L’ÉCRIVAIN DU RAP

Par jmdenis - Publié en septembre 2013
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ON L’A RENCONTRÉ à Brazza, dans le costume d’ambassadeur de la compagnie ECair, on le retrouve, quinze jours plus tard dans son nouveau studio du côté du canal Saint-Martin, à Paris. Il enregistre un titre, « Rap All Night ». Flow facile, posé. Lui tout craché ! 40 ans, et papa Passi (il a deux enfants) rappe comme s’il avait encore 17 printemps, du temps où il tentait de se frayer un chemin dans sa jungle de béton de Sarcelles, en banlieue parisienne.

Il n’a jamais cessé de le dire : le rap n’est pas une musique de jeunes, c’est un mouvement, une culture à part entière and that’s all, folks ! Il vient de sortir un sixième et nouvel album solo, intitulé Ère Afrique. Et comme M. Balende, pour l’état civil, déteste faire de l’art dans son coin, il a « convoqué » Manu Dibango, Fally Ipupa, Moussier Tombola ou Meiway, entre autres, pour se défouler sur une galette festive, un nouveau voyage afro-rap au cours duquel il en profite pour rendre hommage au Printemps arabe. Dans la lignée de l’aventure du collectif Bisso Na Bisso que Passi avait impulsée en 1998 avec l’opus-carton Racines, historique main tendue en musique à l’Afrique, venant de jeunes MC issus de l’immigration.

40 ans et toutes ses dents ! Celui qui est désormais considéré comme l’un des pères fondateurs du rap français, à l’instar de NTM, IAM ou MC Solaar, continue de mordre, de dénoncer l’ambiguïté des médias, le néocolonialisme français en Afrique, l’inertie des politiques… Tout ça peut se consommer sans modération dans Explications de textes (éditions Fetjaine). Car, et c’est une première, l’auteur de « Je zappe et je mate » publie parallèlement un livre, écrit à quatre mains, avec son frère Steeve. Au lieu d’opter pour une autobiographie, il a choisi de publier certains de ses textes de chanson qui prennent une tout autre force « dépouillés » de leur background musical et, à cette occasion, il opère une série de flash-backs. Passi nous raconte ses jours tranquilles d’enfant au Congo-Brazza, sa jeunesse de B-Boy à Sarcelles avec sa famille émigrée à partir de 1979.

Ses années comme membre du groupe de légende Ministère A.M.E.R. de 1989 à 1994. Son séjour en « zonzon », en prison, en 1994. Ses divers opus solos, Les Tentations (1997), Genèse (2000), Odyssée (2004), Révolution (2007) et Évolution (2007). Jusqu’au prochain album, « Ma Bande originale », qu’il prépare actuellement et qui sera dédié au cinéma. Il commente ici quelques phrases marquantes de son ouvrage.

« Nous n’avions pas grand-chose et rêvions de tout. »

« À 15 ans, j’avais déjà un de ces appétits ! Les limitations de la cité stimulent ton imagination : faire des voyages, grimper dans l’échelle sociale, décrocher des diplômes… Avec un père qui inspirait le respect et une mère enseignante, qui n’hésitait pas à nous punir, mes frères, mes soeurs et moi, on avait une éducation assez stricte, même si on avait des voisins qui étaient déjà dans le grand banditisme. Mais on avait compris que l’argent était le nerf de la guerre. C’est pourquoi on avait fondé notre association, A.M.E.R. [action, musique et rap, NDLR], à 17 ans, ce qui nous permettait d’obtenir des locaux de répétition ! On savait que le hip-hop était la seule culture qui disait la vérité. »

« Un coeur d’artichaut, voilà une facette de moi-même que j’ai toujours combattue. »

« Je suis sentimental, mais je le cache par pudeur. Mon éducation africaine probablement… Chez nous, on ne dit pas “je t’aime”, on le montre. En tout cas, j’ai vécu plusieurs histoires d’amour, la première a été la plus importante. J’avais alors 15 ans ! Je suis resté avec elle huit ans et j’ai tenté de la rechercher en vain dans toutes les filles dont je suis tombé ensuite amoureux, ça tournait à l’obsession. Mais j’ai fini par surmonter le problème. »

« Les biens mal acquis, un dossier couvert par les politiques français. »

« C’est un dossier sur lequel, ici, les milieux politiques préfèrent ne pas s’attarder. On n’évoque pas trop non plus les biens mal acquis par la France en Afrique. Ça s’appelle la Françafrique ou le néocolonialisme. Les pays d’Afrique subsaharienne ont fêté un demi-siècle d’indépendance, mais rien n’a changé. L’injustice m’a toujours ulcéré, de même que les systèmes politiques ou économiques qui la permettent. En Occident, il y a un minimum de ressources qui reviennent au peuple.

Au Congo, qui regorge de pétrole, les Congolais devraient bénéficier de ce minimum. Pourquoi ce n’est pas le cas ? On dit que la corruption est une autre explication. Mais à quoi bon s’attaquer à un président alors qu’il faudrait résoudre le vrai problème, ce système qui installe ou déloge tel ou tel chef d’État ? »

« Nous ne nous rassemblons pas assez sous le drapeau bleu, blanc, rouge ou derrière La Marseillaise. »

« Je me suis longtemps battu pour savoir qui j’étais. Je le sais maintenant : je suis un métis culturel, un franco-congolais. Mais il y a beaucoup de jeunes qui sont d’autant plus paumés que la France refuse de les intégrer. L’exclusion sociale et économique dans les cités de banlieue, elle ne diminue pas, bien au contraire ! Je dis donc qu’il ne faut pas laisser au Front national le monopole du drapeau tricolore et de La Marseillaise. Histoire de rééquilibrer les choses et de réaffirmer que nous sommes bien français et que nous ne repartirons jamais dans le pays d’origine de nos parents où nous ne nous sentons pas la plupart du temps vraiment chez nous. »

Par Jean-Michel DENIS