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VIVRE ENSEMBLE

Par Ammi.KEBIR - Publié en avril 2014
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IBN ‘ARABÎ A ÉCRIT : Mon cœur est devenu capable / D’accueillir toute forme. / Il est pâturage pour gazelles / Et abbaye pour moines ! / Il est un temple pour idoles / Et la Kaaba pour qui en fait le tour, / Il est les Tables de la Thora / Et aussi les feuillets du Coran ! [...]

Près de huit siècles après, ces vers n’ont rien perdu de leur force. Ils peuvent encore être brandis au visage de ceux qui prennent en otage les religions, toutes les religions, et qui veulent imposer leur ordre. À l’évidence, nos mémoires ne sont pas un lieu de paix. Tout en elles brûle de nous conduire à la négation de l’autre. Elles regorgent de blessures. Générées par des guerres de toutes sortes. D’aucuns ont sûrement espéré que le temps ferait son œuvre. Mais il n’a pas suffi à panser les plaies. Pourquoi vouloir que le monde soit un et seulement un ? Pourquoi vouloir que l’autre soit notre plus fidèle reflet ? Et pourquoi surtout lui interdire d’être ce qu’il veut être et comme il veut être ? En quoi perturbe-t-il l’harmonie du monde ? Qui a autorité à configurer nos plus intimes convictions ou à être le gendarme de notre foi ?

Des hommes pourtant affichent cette croyance dans l’immonde barbarie de leurs actes, convaincus qu’ils ont le paradis pour eux. Ils s’arrogent le droit de clamer qu’il n’y a place que pour une seule vérité, la leur, sacrifiant ceux qui n’y souscrivent pas. Qui suis-je pour interdire à l’autre d’être aux antipodes de ce que j’ai choisi d’être ? Je n’ose pas imaginer quel sens aurait ma vie, si l’autre venait à disparaître, me laissant seul face à moi-même ?

« Tout être est mon être », écrivait l’émir Abd el-Kader, un disciple d’Ibn ‘Arabî. Son Livre des haltes contient dans ses silences une question qui vibre avec éclat : qui suis-je si l’autre n’est pas ? Il nous revient d’assurer la plus belle descendance à la fraternité contenue dans ses mots. Les différences, loin d’être des menaces, sont une richesse : elles grandissent notre humaine condition. Elles sont le socle d’un monde à venir, un monde pluriel, respectueux de tous.

C’est ce monde que le festival « Étonnants Voyageurs » célèbre pendant quatre jours en mars dans un Maroc au carrefour des langues et des civilisations. Des hommes et des femmes ont choisi les armes de l’esprit et de la fraternité avec pour seul souci que de dessiner les contours d’un monde meilleur où vivre ensemble ne serait pas une utopie.

Par KEBIR Ammi Romancier, essayiste et dramaturge, il vient de publier Un génial imposteur au Mercure de France. Il participe au festival « Étonnants Voyageurs » à Rabat-Salé du 6 au 9 mars organisé dans le cadre de la saison culturelle France-Maroc 2014.