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YOUSSOU NDOUR SES DEUX AMOURS

Par jmdenis - Publié en janvier 2014
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PEU IMPORTE si son groupe, le Super Étoile New Look, tourne comme un moteur de F1 en essai technique, avec quelques ratés. Les 18 000 spectateurs du palais omnisports de Bercy, à Paris, plein à craquer ce 12 octobre, tanguent de bonheur. You is back ! Après deux ans d’absence de la scène musicale ! Devant la diaspora sénégalaise venue des quatre coins de l’Europe, et une tribune de VIP pleine à craquer, Youssou Ndour donne son 11e Grand Bal depuis 2000, un concert en forme de fête africaine.

Au bout de une heure de set, il entonne l’un de ses succès, « New Africa ». Une chanson majestueuse adressée au continent et dédiée à ses héros (Cheikh Anta Diop, Kwame Nkrumah, Steve Biko…), qu’il arrime de sa voix puissante et claire. Fin du titre et moment unique en quatre heures de concert : une standing ovation qui dure quasiment une minute. On scande un peu partout : « Youssou ! Youssou ! » On entendrait presque « Youssou président ! »…

Une page semble se tourner, celle du roi du mbalax. Il aura été ce jeune homme de 16 ans à la voix exceptionnelle qui, en un soir de concert à Saint-Louis, passera de l’anonymat au statut de vedette nationale. Il aura été, dans les années 1980, cet initiateur de la musique africaine moderne pour le monde, au même titre que Salif Keita, Alpha Blondy, Miriam Makeba ou Manu Dibango. Il aura été cette star aux trente albums, tous no 1 au Sénégal, l’auteur du tube mondial 7 Seconds (1994).

Il aura été tout ça et même, parfois, plus que cela. Car déjà un tournant s’amorçait dans son parcours dès le début des années 1980 avec son combat contre l’apartheid et pour la libération de Mandela, ses actions contre la dette des pays en développement aux côtés de ses amis les superstars du rock Bono et Peter Gabriel et sa lutte contre le paludisme, qui avaient fait du bruit sur la planète. Des causes généreuses, humanitaires, que personne ne pouvait contester.

Mais quand le chanteur, un beau jour de septembre 2011, décide de relancer à Dakar son mouvement citoyen Fekkee ma ci boole (en wolof, « c’est parce que je suis présent que j’y prends part »), créé à l’origine pour faire pression sur le président Abdoulaye Wade dans le but d’obtenir une fréquence pour sa télévision, il passe de « l’autre côté du miroir » : il se lance dans l’arène politique, la vraie, celle de la « gagne » pour le pouvoir, celle où tous les coups sont permis.

On connaît la suite : sa candidature à l’élection présidentielle en janvier 2012, invalidée par le Conseil constitutionnel « pour des broutilles », affirmera-t-il. Puis son ralliement au front d’opposition, le M23, et son soutien à Macky Sall. Celui qu’on surnomme Nianga Sall (« Sall le sévère » en wolof) saura s’en souvenir quand il accédera à la fonction suprême le 25 mars 2012. Il fait de You son ministre de la Culture et du Tourisme. L’idole du Sénégal restera à peine sept mois à la Culture et dix-sept au Tourisme ! Trop peu, à l’échelle du temps politique, pour accomplir des choses substantielles…

Et la star, qui nous reçoit dans un grand hôtel parisien la veille du concert, en convient : « On m’a retiré le portefeuille de la Culture car il y avait un petit peu de gêne autour de moi… [Moment de silence.] J’ai cheminé avec toute une génération d’artistes et l’on attendait tout de moi, tout de suite. Et puis n’importe quel musicien pouvait prétendre que je cherchais à coincer mes anciens concurrents… [Silence encore.] Il y avait conflit d’intérêts. » Nul doute qu’il faille « lire entre les lignes » qu’il est aussi le patron de Futurs Médias, le groupe de presse no 1 du Sénégal (un quotidien, L’Observateur, une radio et une télé). Bref, au pays de la Teranga, c’était Citizen Kane ou Rupert Murdoch ministre ! Il se contentera donc, à partir d’octobre 2012, du maroquin du Tourisme et des Loisirs, plus « inoffensif ».

« En revanche, c’est moi qui ai demandé à quitter mes fonctions en septembre dernier, tient-il à préciser. J’ai conçu un important plan de relance du secteur portant sur cinq ans et d’un montant de 100 millions d’euros. Je voulais passer à autre chose, comme lorsqu’on a fini l’enregistrement d’un disque. » Le bilan de ce passage au gouvernement : « Je sais maintenant comment fonctionne l’État. Et ça, ça m’intéresse profondément ! » affirme-t-il, les yeux brillants. « Le mouvement Fekkee ma ci boole s’inscrit dans la mouvance présidentielle et nous allons renforcer nos liens avec l’Alliance pour la République (APR), la formation du président Macky Sall, qui est un ami personnel. » Bien entendu, la musique reste et restera sa passion, mais c’est évident : la politique devient une « seconde épouse » de plus en plus accaparante. N’a-t-il pas accepté le poste de ministre conseiller du chef de l’État, où « il fera du Youssou pour renforcer l’image du Sénégal » ? L’agenda du musicien n’est d’ailleurs pas très chargé. Une tournée dans le pays pour les fêtes, mais aucun enregistrement en vue, semble-t-il. Comme si l’essentiel était ailleurs, comme si cet épisode ministériel n’avait été finalement qu’un tour de chauffe. En vue des prochaines échéances électorales de 2017 ? « On ne peut prédire l’avenir… », répond-il mystérieusement.

Par Jean-Michel Denis