Aller au contenu principal
SHUTTERSTOCK/AI GENERATOR
SHUTTERSTOCK/AI GENERATOR
Focus

L'Afrique du futur

Par Cédric Gouverneur
Publié le 15 décembre 2025 à 12h20
Share

Elles et ils sont chercheurs, développeurs, codeurs, entrepreneurs. Elles et ils inventent des modèles, des solutions pour la santé, l’agriculture, les réseaux, l’énergie… Et partagent une ambition: créer, pour le continent, une IA qui parle ses langues, comprend ses réalités et répond à ses défis. Enfin, elles et ils refusent que l’Afrique reste spectatrice de la révolution technologique. Rencontre.

Les performances de l’intelligence artificielle accélèrent à un rythme qui surprend même les spécialistes: le cofondateur d’InstaDeep, Karim Beguir, estime ainsi que le potentiel de l’IA est sous estimé, observant qu’elle accomplit déjà ses tâches «dans 90% des cas aussi bien que les experts humains», par exemple en détectant des tumeurs mieux que les cancérologues eux mêmes… Selon Beguir, une start-up d’une poignée de salariés peut désormais, grâce à l’IA, rivaliser en productivité avec une entreprise employant des centaines de salariés. Et ce n’est que le début: comme nous l’écrivions en juillet dernier [«L’IA doit passer par nous», AM 466], l’humanité ne se trouve qu’à la «préhistoire technologique» de ces nouveaux outils. Non maîtrisée, cette puissance pourrait s’avérer destructrice. Mais si la crainte de machines asservissant la planète est un classique de la science-fiction (voir ou revoir le film Terminator, réalisé par James Cameron et sorti en 1984), le scénario qui se profile est celui d’une IA sous contrôle. Le PDG de la société américaine Anthropic, Dario Amodei, redoute cependant que l’IA ne rende superflu d’innombrables salariés…D’autres figures de la tech sont plus optimistes: pour le viceprésident de la branche technologie et société chez Google, James Manyika, l’histoire montre qu’une technologie dominante crée, à terme, davantage d’emplois qu’elle n’en supprime.

Outil susceptible de rivaliser avec Homo Sapiens, l’intelligence artificielle impose à tous concepteurs, utilisateurs, institutions  un devoir de vigilance. L’IA est d’abord une aide qui, comme toute autre, peut être utilisée imprudemment ou à des fins malveillantes. Mais comme le démontrent déjà ses applications en Afrique dans le monde agricole, elle incarne également une immense opportunité de développement. Or, il y a urgence: parmi les 17 objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations unies en 2015 pour l’horizon 2030, un tiers seulement présente des progrès satisfaisants… L’IA pourrait contribuer à combler ces retards. Elle peut elle doit constituer en Afrique un levier de leapfrogging («saut de grenouille»), à savoir un bond technologique qui permette aux économies africaines de gagner du temps, de s’affranchir de pesantes étapes dans la recherche, l’agriculture, la transition énergétique, etc. Un peu comme la généralisation du téléphone mobile, au tournant du millénaire, avait permis au continent de faire l’impasse sur les infrastructures de téléphonie filaire. La nomination en 2023 d’un expert de l’IA en tant que recteur de l’Université des Nations unies (UNU), le Sud- Africain Tshilidzi Marwala, montre l’importance que prête l’organisation internationale aux potentialités de ces nouvelles technologies pour le développement.

Mais pour l’Afrique, le vrai danger de cette révolution IA est celui d’une perte de souveraineté, voire d’un «néocolonialisme numérique», piloté non plus depuis Paris, Londres ou Lisbonne, mais depuis la Silicon Valley ou Hangzhou. Dans une mondialisation de l’IA dominée par les Occidentaux et l’Asie, l’Afrique demeurerait une cliente subordonnée. Ce risque est réel. La Sud-Africaine Pelonomi Moiloa (Lelapa IA) alerte ainsi que, dans son pays, des applications IA, gavées de données européocentristes, reproduisent des biais racistes hérités de l’apartheid! L’expert kényan Sidney Essendi met en garde: les États africains qui n’investissent pas dans leur propre IA dès aujourd’hui pourraient devenir tributaires de fournisseurs étrangers, comme l’américain Nvidia ou son concurrent chinois DeepSeek  certes, moins cher, mais soupçonné de livrer les données et les historiques de recherche de ses utilisateurs…Réussir la mise en oeuvre d’un écosystème africain de l’IA qui soit un outil souverain de développement nécessite des investissements massifs afin de bâtir des data centers, de former les nouvelles générations et de soutenir l’innovation. Une certitude, cependant: l’Afrique dispose, parmi ses atouts, de moult talents dans le secteur de l’IA. Des hommes et femmes issus des mondes universitaire, étatique et entrepreneurial, incarnant cette aspiration à une indépendance numérique.